La rupture brutale des relations entre la France et la Guinée en 1958 dans le processus irréversible des indépendances africaines, mettra la pression sur les nouvelles autorités souveraines du pays face aux énormes besoins de volonté des autorités françaises d’alors de tout mettre en œuvre pour que le pays face amende honorable. Ce qui fût d’entrer insupportable et prohibitif pour un jeune Etat sans expérience en la matière.
Juste après son accession à l’indépendance politique la Guinée fut confrontée à d’énormes difficultés dont entre autres :
- L’enlèvement des archives importantes qui furent immédiatement expédiés à Dakar puis en France (cas des études effectués dans le domaine géographique et minier utiles pour le développement du pays) ;
- L’arrêt des travaux d’équipement en cours de réalisation ou projeté : cas du barrage Konkouré dont le dossier technique fut confisqué ;
- Gel des avoirs des guinéens en France (pensions des militaires et des civils, épargnes etc.) ;
- La remise en cause de l’admission des marchandises guinéennes en France ;
- L’arrêt des subventions d’équilibre de budget et des investissements FIDES ;
- Le débarquement à Dakar de plus de plus de 80 professeurs (anciens et nouveaux) etc.
Malgré toutes ces mesures, la Guinée a négocié pour rester dans la zone franc, mais les autorités françaises ont passé outre. C’est ainsi que la Guinée a opté pour l’indépendance monétaire en émettant sa monnaie nationale (le Franc Guinéen).
Du coup, cette émission est faite par la BRG (Banque de la République de Guinée) créée pour la circonstance en même temps que la monnaie nationale. La BRG se transformera en BCRG (Banque Centrale de la République de Guinée) à partir du 27 juillet 1961 par le Décret n°276/PRG/61.
Après sa création, le Franc Guinéen s’est confronté à d’énormes contraintes (inondation du marché des faux billets par les français par exemple), de telle sorte qu’elle connaitra 5 reformes monétaires marquées par cinq familles de billets (changements de signes monétaires : instrument de politique monétaire utilisé par les autorités d’alors en plus des instruments traditionnels).
Après 62 ans d’indépendance monétaire, le Franc Guinéen ne joue plus la troisième fonction de toute monnaie qui n’est rien d’autre que la réserve de valeur.
Par ailleurs, de par cette fonction, la monnaie permet de reporter des achats dans le futur. Par exemple, dans une économie monétaire, un individu ayant vendu un bien X contre de la monnaie peut ne pas souhaiter dépenser cet argent immédiatement pour acquérir un autre bien Y. Ceci est possible parce que la monnaie est un instrument d’échange actuel mais aussi futur.
Cependant, nous convenons bien avec vous que la monnaie n’est pas le seul instrument capable de conserver de la valeur dans le temps. C’est pourquoi, bon nombre d’agents économiques recourent le plus souvent aux titres financiers ou encore aux biens immobiliers contrairement aux autres actifs, la monnaie semble être le meilleur instrument de réserve de valeur parce qu’elle présente deux avantages : i) elle est parfaitement liquide (c’est-à-dire qu’elle est utilisable immédiatement en vue des transactions et sans coûts) ; ii) elle est sans risque alors que pour les actifs financiers par exemple, le détenteur court le risque d’une perte en capital à tout moment.
Tout ceci n’est possible qu’à condition qu’elle garde une valeur stable dans le temps. Or sa valeur dépend du Niveau Général des Prix (NGP). Par conséquent, si ce dernier augmente comme chez le cas aujourd’hui en Guinée, avec le même montant de monnaie vous pouvez acheter une quantité moindre de marchandises. La monnaie n’aura pas rempli dans ce cas, son rôle de réserve de valeur.
Sans abuser du temps du lecteur, nous pensons que pour restaurer la valeur externe de notre monnaie et d’assurer la troisième fonction de toute monnaie, la Banque Centrale devra à notre avis restructurer le marché de change de manière à autoriser dans le futur son intervention sur ledit marché en injectant de la devise quand le taux de change dévie de sa trajectoire par rapport au fixing (d’autant que notre régime de change actuel ne le permet pas) sans quoi, les agents économiques à l’image des cambistes agréés de la place auront toujours la possibilité de spéculer sur le Franc Guinéen.
A moyen et long terme, l’on doit s’atteler à consolider à moyen et long termes notre excédent commercial depuis 2017, tiré essentiellement par les mines même si nous savons qu’il s’explique en grande partie également par la baisse des importations suite à la Covid-19.
De plus, il faudra résoudre le déficit majeur de la production du secteur non minier afin de répondre aux besoins de la population qui dépend des importations de biens et services. A cela, s’ajoutent l’absence de politiques de régulation des prix et d’une économie faiblement bancarisée (moins de 10% de la population détient un compte bancaire suivant les données statistiques que nous avons reçu des autorités compétentes) même si l’on soutient côté Banque Centrale que ce taux tournerait autour de 15%.
Dans le cas, où l’on ne parviendrait pas à respecter les conseils ci-dessus, la pression exercée par la demande de devises des agents économiques en contrepartie du Franc Guinéen fera toujours grimper le taux de change tout en affaiblissant la monnaie nationale dont l’offre est abondante.
De plus, la BCRG doit veiller au renforcement du contrôle des transactions en devises (origine et destination des fonds), continuer le transfert des soldes journaliers en devises des banques à la Direction de la Supervision Bancaire et aussi la possibilité d’instaurer une zone de sécurité pour la production et l’exportation de l’or.
Enfin cette petite analyse non exhaustive montre que la résolution de l’épineux problème de change auquel est confronté notre pays passe essentiellement par la mise en place d’une véritable politique économique en général et une politique de change en particulier. Pour y arriver, il sera nécessaire d’impliquer de façon active toutes les institutions économique, monétaire et financière autour d’une réforme majeure dont l’objectif sera l’extraction de l’économie guinéenne des contraintes lourdes qui pèsent sur elle.
Safayiou DIALLO
Economiste