Déclaration de politique générale : quand l’empirisme tient le dogmatisme en l’état.

 

Lors de son discours d’ouverture de l’atelier de renforcement des capacités des conseillers nationaux et cadres de l’administration parlementaire sur la procédure budgétaire en date du 25 juin 2022, le Président du Conseil nationale de la Transition (CNT), Dr Dansa KOUROUMA, a réitéré sa demande, avec insistance, adressée au Premier ministre (PM) à venir procéder à la déclaration de politique générale du Gouvernement de la Transition (article 48 Charte) devant le CNT, organe législatif de la Transition (article 56 de la Charte).

Ce discours qui s’inscrit dans la théorie classique des rapports existants entre les pouvoirs législatif et exécutif a fait l’objet de plusieurs analyses juridiques, parfois littérales, soulevant la question de savoir si le PM, au regard des dispositions de la Charte, est-il tenu à venir procéder à la déclaration de politique générale du Gouvernement devant le CNT ? Cette question, qui renvoie aux relations entre ces deux pouvoirs constitués, est complexe et ne peut être tranchée par la simple lecture mécanique des dispositions sans un minimum d’interprétations empiriques et contextuelles.

Ainsi, affirmer qu’aucune disposition de la Charte n’impose une obligation au PM à se présenter devant le CNT pour faire une déclaration de politique générale, c’est quelque peu faire preuve du puriste de la rigueur normativiste, plus à l’aise dans la poésie littérale que dans la prose du contexte. Or, la conception dogmatique convient peu en Droit constitutionnel.

Ne pas non plus signaler les fondements légaux d’une telle obligation faite au PM, c’est prendre le risque de s’inscrire dans un développement littéraire qui aurait tout pour plaire mais peu pour convaincre.

Le tout est de faire coexister plusieurs conceptions de l’interprétation juridique, car en droit le sens des textes est créé à partir du processus d’interprétation.

Dès lors, la base légale de la déclaration de politique générale, résulte à la fois d’une interprétation extensive des dispositions de la Charte, de la tradition constitutionnelle guinéenne et de la logique ainsi que de la cohérence juridique. Donc, faisons une analyse en trois temps.

En premier lieu : certes, il ne ressort pas explicitement ou de manière littérale et grammaticale des dispositions de la Charte obligeant le Premier ministre, après sa nomination, à faire une déclaration de politique générale devant le CNT, importe peu que cette déclaration soit suivie d’un débat avec ou sans vote. Cependant, d’une interprétation empirique et conceptuelle des dispositions de l’article 57 de la Charte, l’une des missions du CNT est de suivre la mise en œuvre de la feuille de route de la Transition. Or, dans cette feuille de route de la Transition, il y a la feuille de route du Gouvernement de transition au regard de l’article 52 de la Charte.

Sur ce fondement, le Président du CNT peut bien demander au Premier ministre, chef du Gouvernement (article 50 de la Charte) à venir présenter au CNT, chargé de suivre la mise en œuvre de la feuille de route de la Transition, la déclinaison des grandes orientations du programme et de la politique de son Gouvernement à court, moyen et long terme.

Un tel raisonnement juridique pourrait être retorqué par la lecture laconique et groupée des dispositions des articles 50 et 52 de la Charte aux termes desquels, le Premier ministre n’est responsable que devant le Président de la Transition, sous-entendant qu’il s’agit d’un régime moniste. Dès lors, il ne peut être obligé à se présenter devant le CNT pour faire une déclaration, dans la mesure où celle-ci pourrait entraîner des conséquences juridiques. Une telle lecture est limitée en ce sens qu’il convient de distinguer l’obligation faite au PM à se présenter devant le CNT et la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement qu’il dirige. La première n’est pas forcément la conséquence de la seconde. L’obligation de se présenter ne signifie pas qu’en cas de désapprobation des conseillers envers la politique déclinée par le PM que le Gouvernement est forcé à démissionner, par la technique de la motion de censure. L’obligation de se présenter, en l’espèce, devrait être entendue comme une sorte de légitimation au regard du contexte.

En deuxième temps : en complément de l’interprétation des dispositions de la Charte, il y a lieu d’affirmer que cette demande faite au PM de se présenter devant le CNT s’inscrit dans la tradition constitutionnelle guinéenne de l’existence d’actions réciproques entre les deux pouvoirs législatif et exécutif. Pour rappel, aux termes des dispositions de l’article 57 de la Constitution de 2010, « Après sa nomination, le Premier Ministre fait une Déclaration de Politique Générale suivie de débat sans vote devant l’Assemblée nationale ». Pour sa part, aux termes des dispositions de l’article 63 de la Constitution de 2020, « Après sa nomination, le Premier Ministre fait une déclaration de politique générale devant l’assemblée nationale. Cette déclaration est suivie d’un débat avec vote ».

Donc, il s’agit bien d’une pratique constitutionnelle bien encrée, qu’aucune période, fût-elle transitoire, ne pourrait y déroger au risque de remettre en cause l’équilibre des pouvoirs.

En troisième et dernier temps : outre ces deux premières approches, inviter le PM à venir faire une déclaration de sa politique générale devant le CNT, n’est rien d’autre qu’une question de cohérence et de logique et s’inscrit dans la dynamique de la consolidation démocratique. Il est donc normal, même en l’absence d’une consécration constitutionnelle préalable, que le Président de l’organe législatif, demande au Premier ministre à venir présenter devant les représentants du peuple, la politique qu’il compte conduire et exécuter au nom et pour le compte de la Nation. La mise en œuvre de l’écrasante majorité des activités de cette politique ne peut se faire sans l’adoption des textes législatifs, mission dévolue au CNT.

Or, pour élaborer, examiner et adopter des textes législatifs portant sur le fonctionnement des services publics, de la gestion de l’économie nationale, des finances publiques et domaines de l’État, bref, de toutes les politiques consubstantielles à la vitalité de la Nation, le CNT se doit d’écouter le PM qui dirige, coordonne et anime toutes ces actions, afin de comprendre et voter en toute connaissance de cause.

D’ailleurs, à titre de comparaison, en France, c’est cette cohérence juridique qui prévaut. Ainsi, depuis la cinquième République, successivement tous les Premiers ministres y ont fait une déclaration de politique générale. Il ne s’agit pas ici de s’intéresser aux effets juridiques qui en ont découlé conformément aux dispositions de l’article 49 de la Constitution française, mais de la nécessité de présenter la politique générale devant la représentation nationale.

Tels furent les cas notamment de Michel Debré (1959), Pierre Messmer (1972) Jacques Chirac (1974), Pierre Mauroy (1981), Edith Cresson (1991), Lionel Jospin (1997), Dominique de Villepin (2005), François Fillon (2007 et 2010), Jean-Marc-Ayrault (2012), Jean Castex (2020).

Somme toute convenue, plutôt que de s’accrocher à une théorie dogmatique comme un naufragé à sa bouée, le contexte sociopolitique du pays exige à faire montre de pragmatisme juridique.

Dr Kalil Aissata KEITA
Enseignant chercheur
Secrétaire général adjoint du CNT