Le procès sur le Coup d’Etat manqué du 7 janvier 2019 au Gabon s’ouvre. Les secrets sur le coup dévoilés enfin.

L’ONG SOS Prisonniers Gabon a retranscrit assez fidèlement ce qui s’est passé lundi au tribunal de Libreville lors de la seconde comparution publique du lieutenant Kelly Ondo Obiang, auteur du coup d’Etat manqué du 7 janvier 2019. A lire et à conserver jalousement dans les archives.

Affaire du soulèvement manqué du 7 janvier 2019: Compte rendu du 2e jour d’audience, lundi 21 juin 2021 (9h30 à 18h)

La salle d’audience abritant la Cour Spéciale Militaire a connu un décor nouveau, ce jour: on peut y avoir deux écrans plasma (53 pouces selon les spécialistes) et un lecteur DVD.

Les spéculations commencent: « ah aujourd’hui l’audience va être retransmise en direct comme avait demandé SOS Prisonniers Gabon ! Aussitôt une voisine assise à notre gauche va répondre, “non ce n’est pas diffusée en direct, les écrans sont là pour montrer le discours du lieutenant Kelly Ondo Obiang à la RTG.”

Puis quelques agents arrivent accompagnés d’un procureur. Ils font les réglages de dernière minute.

Tout semble prêt. La Cour prend place à 9h30. Le Président de la Cour tient à rappeler aux avocats que, pour la sérénité des débats, personne ne doit prendre la parole sans l’accord du Président. Il appelle donc au professionnalisme des uns et des autres.

Un moustique survole la salle. Son bruit retentit, preuve que la salle est calme. Le message du Président est passé comme une lettre à la poste.

Les hostilités peuvent enfin démarrer. Les 9 accusés qui sont présents au tribunal depuis 7h du matin sont appelés à la barre.

Me Moumbembé, un des avocats de la défense, se lève et va rejoindre ses clients au prétoire. Aussitôt, il demande la parole au Président, dès l’ouverture des débats. Le Président ignore totalement la mainlevée de Me Moumbembé. Il donne plutôt la parole au lieutenant Kelly Ondo Obiang pour relater les faits du 7 janvier 2019. Mais Kelly  Ondo Obiang  Va dire  » Monsieur  le Président  je donne  la parole  à mon avocat  » le Président  refuse et demande à  Kelly Ondo Obiang  de prendre la parole et exposer les faits, c’est le premier couac de l’ audience.

Kelly Ondo Obiang arrive, du haut de son 1m70. Ceux qui le connaissent depuis disent qu’il a beaucoup maigri.

Morceau choisi du lieutenant Kelly Ondo Obiang: “le 24 octobre 2018, suite à l’accident vasculaire cérébral du Président Ali Bongo Ondimba, le pays se retrouvait dans une instabilité. Et à cette période, j’étais commandant par intérim de la compagnie d’honneur de la Garde Républicaine (GR).  À ce titre j’assistais à toutes les réunions de l’Etat major. J’avais donc plusieurs informations, je suivais également toute l’actualité politique de mon pays avec la violation de l’article 13 de notre Constitution. Une guerre de clan était née à la Présidence de la République, dirigée par le Directeur de service de renseignement. Sur le plan sécuritaire, il avait  la présence des mercenaires sur notre territoire et j’avais constaté un mouvement d’armes. Le Directeur de service de renseignements était devenu tout-puissant. Tout le monde avait désormais peur de lui.

Fort de ma formation, j’ai donc tiré les conclusions que le frère du Président voulait prendre le pouvoir. J’ai pris la responsabilité de lancer une contre-attaque. » Le récit du jeune lieutenant émeut toute la salle.

Les membres de la Cour et les avocats sont captivés par les paroles du lieutenant Kelly Ondo Obiang. Il va ajouter: « j’ai pris mes responsabilités avec 3 frères d’armes. J’ai fait appel au peuple pour que le peuple gabonais puisse défendre sa souveraineté.

Monsieur le Président, on m’accuse d’association de malfaiteurs,  je me suis rapproché de mes hommes pour défendre la patrie, donc ce n’est pas une association de malfaiteurs mais une association de patriotes. »

Autre fait marquant, le lieutenant Kelly Ondo Obiang dit qu’il n’a pas volé les armes, il a pris les armes qui étaient à sa disposition à l’armoirie de la cité de la démocratie .

“Nous avons trouvé le sergent qui était de garde à l’armoirie en train de boire une Regab et j’ai demandé à mes gars de le bâillonner et d’enlever la bouteille de Regab sinon on devait aussi l’accuser de complicité. J’ai donc agi ainsi pour protéger cet agent.

Après avoir pris les armes, le commando va se rendre à la Radio télévision Gabonaise. Une fois à la RTG, le commando va neutraliser les gendarmes de garde à la RTG.

C’est à partir de 6h que les blindés de la Garde républicaine vont arriver.

De 6h30 à 9h30 c’était le statu quo entre les deux camps, jusqu’à ce que le sergent Ango Ralem nous a infiltré en disant qu’il est des nôtres,  puis il est reparti. C’est lui qui est parti dévoiler ma stratégie aux agents. Il a donné les informations capitales qui ont permis à la Garde républicaine de lancer l’assaut. Les mauvaises langues murmurent: « ah c’est lui la balance, un traître… »

Le jeune officier continue son récit, charge l’ancien parole du gouvernement de l’époque: « le porte-parole du gouvernement avait dit des contre-vérités sur mon arrestation. Je n’ai jamais été arrêté sous un lit, ou dans une maison.  Quand j’ai reçu les informations que le directeur de renseignement avait donné l’ordre que je ne dois pas sortir vivant de la RTG, je m’étais donc isolé à côté du transformateur de la RTG. Et de ma position, je voyais tous les faits et gestes des groupes d’intervention. J’avais toujours mon M16 et plusieurs chargeurs pleins. Je pouvais endommager l’hélicoptère qui survolait à basse altitude. C’est aux environs de 12h que je me suis dévoilé auprès d’un capitaine de la Police. Puis j’ai été conduit à la Présidence de la République. J’ai trouvé que tous les hauts officiers étaient en réunion. Le Directeur de service de renseignement et ses gars m’ont conduit après dans une pièce isolée. J’étais attaché et torturé pendant plus d’une heure. Ils voulaient que j’attribue la paternité de mon action à Brice Laccruche Alihanga et à la coalition de l’opposition. Il m’a même proposé des milliards et un voyage à l’étranger avec ma famille si j’acceptais de faire une fausse déclaration. Malgré les sévices, j’ai toujours dit que mon initiative est personnelle. Il m’a montré une seringue avec du sang à l’intérieur, il m’a dit que ce sang est contaminé du VIH et qu’il va m’inoculer si je ne parle pas. C’est ainsi que le Procureur de la République Olivier Nzaou a fait irruption dans la salle où j’étais torturé. Et il a dit aux gars que le monde entier sait qu’il a été arrêté vivant. C’est à ce moment que j’étais conduit au B2. Je rends grâce à Dieu si je suis encore vivant aujourd’hui, il a veillé sur moi”, va conclure Kelly Ondo Obiang.

Puis la parole est donnée à l’adjudant Dimitrie Nze. Me Moumbembé demande à nouveau la Parole, cependant, le Président semble punir l’avocat, car il lui refuse toujours la parole.

Quant à l’adjudant Dimitri Nze, il va reconnaître que c’est le lieutenant Kelly Ondo Obiang qui l’avait contacté et lui a dit qu’ils avaient une mission à faire par rapport à la situation du pays. Face à cela, Dimitrie Nze a accepté la mission. Il va également revenir sur leur condition de garde à vue au B2. Car, dit Dimitri, pendant deux semaines ils ont été torturés sur ordre et en présence du Procureur adjoint Wilfried Adjondo. Ils ont même été brûlés au dos. Dimitri dit même à la Cour qu’il a toujours les hématomes au dos. Ce récit de l’adjudant Dimitri donne froid au dos , cela arrache une larme à mon voisin. Comment un procureur de la République peut-il être l’instigateur des tortures ? S’interroge une jeune dame.

Les langues se délient, le 3e gars de la GR, Bidima Estimé, va dire à son tour que le lieutenant Kelly lui avait dit que le frère du Président veut prendre le pouvoir et par conséquent, qu’il faut contre-attaquer Frédéric Bongo.

À cet instant, une voix murmure « la demande de Me Moumbembé  de vendredi dernier qui souhaitait la comparution d’Ali Bongo comme  témoin de la défense vaut désormais tout son pesant d’or. »J’avais dit au lieutenant de me laisser 48h pour réfléchir. Après ces 48h, j’ai donné mon accord pour la mission. Précise Bidima Estimé

Avant que la Cour ne donne la parole au 4e accusé, Mes Moumbembé et Nzigou demandent encore la parole à la Cour. Mais toujours le même niet.

À 10h42, le Bâtonnier Me Lubin Ntoutoume va faire son entrée dans la salle d’audience. Les avocats de la défense se réjouissent de la présence du Bâtonnier, est un véritable soulagement pour la défense, car depuis le début de l’audience c’est comme si le Président de la Cour les brimait. Ils avaient donc besoin d’un renfort…

Le Président donne alors la parole à Ango Ralem. Celui que Kelly Ondo Obiang considère comme « l’infiltré  »  du groupe.

Kelly Ondo Obiang

Ango a simplement reconnu qu’alors qu’il n’était pas de service ce jour et qu’il allait à l’hôpital, il a appris ce qui se passait à la RTG, puis il s’est rendu sur les lieux. Ses frères d’armes lui ont donné une arme et des munitions, mais après quelques temps il est ressorti de l’enceinte de la RTG. C’est en allant vers chez « MACKJOSS » qu’il a été arrêté. Et il a commencé à répondre aux questions des agents qui ont permis de lancer l’assaut…

Le tour revient donc aux gendarmes. Bell Mfoumbi Wora va être le premier à s’exprimer comme il a été le premier gendarme à avoir été neutralisé par le Commando du lieutenant Kelly Ondo Obiang.

Plus d’une 1h d’auditions des accusés.

Le Président refuse toujours de donner la parole aux avocats de la défense. La défense   disciplinée  comme jamais , va souffrir en silence.

Le jeune gendarme va dire que c’est sous la contrainte du Sergent Bidima qu’il a pris une arme de type qu’il n’avait jamais touchée, car cette arme, le seul corps qui la possède est la GR. Il a juste tiré en l’air selon les instructions du Sergent Bidima.

Le Maréchal de logis Chef Major Armelle Ulrich Afana est appelé à  son tour. Mais Me Nzigou revient demander la parole. Cependant, le Président reste droit dans ses bottes. Il dicte sa loi. Personne ne prend la parole sans son accord.

Le jeune avocat insiste et prend la parole au forceps. Quelques minutes après, Me Moumbembé prend également la parole. Le président finit par lui donner la parole.

Me Moumbembé rappelle au président que, depuis le début de l’audience, il ne  cesse de demander la parole mais malheureusement sa main est restée en souffrance pendant plus d’une d’heure.

Il va  soulever l’exception d’inconstitutionnalité sur l’article 451 du code de procédure pénale.

Car selon l’avocat , la disposition « le pourvoi en cassation n’est pas suspensif » viole manifestement le Préambule de la Constitution gabonaise. Il ajoute que la question de la compétence d’une juridiction est d’ordre public, elle garantit les droits de la défense. Donc l’article précité est anticonstitutionnel.

À cela, Mes Meye François et  Anges Nzigou vont également soulever l’exception d’inconstitutionnalité de la loi N°7/73 du 20 décembre 1973, portant code de justice militaire.

En effet l’article 9 loi N°7/73 du 20 décembre 1973 portant Code de justice militaire précise que: “lorsque les militaires ou assimilés, poursuivis en temps de paix pour un crime ou un délit de la compétence des juridictions militaires, ont comme co-auteurs ou complices des personnes ne relevant pas de la Cour Spéciale Militaire, tous les inculpés sont traduits devant les juridictions de droit commun, sauf dans les circonstances expressément prévues par une disposition spéciale de la loi.”

La disposition spéciale de la loi n’étant pas expressément indiquée dans le cas d’espèce, cela lèse les droits de la défense du Lieutenant Kelly ONDO OBIANG, car l’un des coaccusés est un civil en la personne de Sieur Ballack OBAME. Par conséquent, les deux avocats demandent à la Cour de surseoir à statuer afin de transmettre le dossier au juge constitutionnel.

Le Ministère Public va faire ses observations suite aux exceptions soulevées par la défense.  Selon le Procureur ces demandes ne peuvent prospérer, car elles ont été faites tardivement. Il ajoute que la loi précise que les exceptions doivent être soulevées dès l’entame des débats.

L’avocat de l’Etat Me Homa Moussavou va également dire à la Cour de déclarer irrecevables lesdites demandes. Selon lui, les exceptions des avocats de la défense sont fantaisistes, il ne faut pas aller saturer le rôle de la Cour constitutionnelle.

Les avocats de la défense rappellent à la Cour qu’elle ne lui appartient pas de statuer sur la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité, car l’article 90 alinéa 3 dispose que « la juridiction devant laquelle une exception d’inconstitutionnalité est soulevée saisit la Cour constitutionnelle par voie d’exception préjudicielle.  Elle sursoit à statuer. »

La Cour suspend l’audience à 12h. Elle reprend à 16h35.

La Cour va rejeter les exceptions d’inconstitutionnalité au motif que lesdites exceptions ont été soulevées tardivement. Aussitôt Me Moubembé reprend la parole en disant que dès l’entame de l’audience, il a demandé la parole pour plaider ses exceptions. Mais malheureusement la Cour a refusé de lui donner la parole.

Me Moumbembé, très remonté, va alors décider de sortir de la salle en invitant les avocats de la défense à le suivre, car la pilule est trop grosse elle ne peut passer. Les avocats vont quitter la salle ! C’est la cacophonie, la Justice gabonaise est encore discréditée par cet arrêt de la Cour Militaire.

Nous étions tous dans la salle d’audience quand Me Moumbembé a demandé la parole dès l’ouverture du procès. Mais le Président lui a refusé et il a tenu mordicus qu’il assure la police de l’audience.

L’audience ne pouvant se tenir sans avocat de la défense, l’affaire a été renvoyée, mais est-ce que les avocats vont repartir prendre part à ladite audience jeudi 24 juin 2021 ?

Source : SOS Prisonniers Gabon