Depuis 1922, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) est engagée dans la défense des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, et l’ONG s’investit sur le continent africain depuis 44 ans. Au Tchad, par exemple, elle a appelé à l’arrêt immédiat « de la répression systématique des manifestations contre la prolongation de la période de transition ». Entretien avec la directrice générale, Éléonore Morel.
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) souffle donc ses 100 bougies cette année. Quel regard portez-vous sur toutes ces années de lutte menées pour la défense des droits humains ?
Eléonore Morel : Effectivement, 1922-2022, c’est 100 ans de combats, de lutte acharnée, de victoires, parfois d’échecs. Mais surtout, c’est le sentiment que la FIDH a forcément contribué au renforcement du mouvement des droits humains ces cent dernières années avec beaucoup de satisfaction et beaucoup d’inquiétudes concernant la situation actuelle et le recul actuellement en matière de droits humains un peu partout dans le monde.
À partir de quand avez-vous commencé à vous mobiliser et à travailler avec les organisations locales sur le continent africain ?
En fait, la première organisation qui a rejoint la FIDH, c’est la Ligue tunisienne des droits de l’homme en 1978. Et c’est avec cette première organisation en fait que la FIDH a commencé à travailler sur le continent africain. Et puis au fur et à mesure, d’autres organisations africaines nous ont rejoints, aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique de l’Est. Et aujourd’hui, il y a plus de 55 organisations africaines qui sont membres de la Fédération internationale pour les droits humains.
Et quels sont les pays d’Afrique dans lesquels votre ONG est aujourd’hui la plus active ?
Évidemment, cela dépend beaucoup de l’actualité. Aujourd’hui, on est très présents par exemple au Tchad avec notamment le massacre de manifestants [le 20 octobre dernier]. La FIDH, avec la Ligue tchadienne des droits de l’homme, a produit un communiqué de presse et a fortement réagi pour critiquer ce massacre. On travaille actuellement en Guinée avec le suivi du procès sur le 28 septembre 2009. La FIDH a été très impliquée en Guinée à la suite de ce massacre et, depuis 12 ans, soutient les victimes et demande la vérité et la justice. On a actuellement aussi un gros travail avec la Côte d’Ivoire sur la question des violences sexuelles et des violences basées sur le genre. Cela a été un sujet très important sur lequel la FIDH a travaillé ces dernières années avec la Lidho [Ligue ivoirienne des droits de l’homme], notre organisation ivoirienne. On est aussi présents dans la région des Grands lacs, et notamment en République démocratique du Congo, en Ouganda, sur les questions des entreprises et des droits humains avec notre organisation ougandaise FHRI [Foundation for Human Rights Initiative]. Donc, on essaie d’être présents et surtout de pouvoir répondre aux demandes de nos organisations en cas de violation des droits humains.
Votre organisation s’est longtemps battue pour que la Cour pénale internationale voie le jour. Est-ce que les acquittements de Jean-Pierre Bemba, de Laurent Gbagbo, de Charles Blé Goudé n’ont pas entaché la réputation de la CPI ?
La lutte contre l’impunité est effectivement une question prioritaire au sein de la FIDH. Quand il y a eu ces trois décisions, la FIDH a évidemment regretté ce qui s’est passé. Mais je voudrais souligner que ces trois décisions ont aussi permis à la Cour de revoir l’ensemble de ses procédures et de s’assurer aujourd’hui que la procédure soit plus centrée sur les victimes, soit plus rapide, soit plus transparente. La Cour a aussi pu tirer les leçons de ces décisions qui n’ont pas été très favorables. Par ailleurs, ce qu’on peut noter aussi, c’est qu’aujourd’hui la CPI a ouvert de nombreuses enquêtes pas seulement sur le continent africain, mais aussi en Afghanistan, en Palestine, en Géorgie, au Venezuela. Ce qui montre que la Cour pénale internationale a su évoluer et a su aussi davantage prendre en compte les violations des droits humains dans d’autres pays.
Quelles sont les personnalités africaines qui ont compté pour la FIDH ?
Il y a eu beaucoup de présidents et de présidentes africaines au sein de la FIDH. Le premier grand président a été [le Sénégalais] Sidiki Kaba qui a été élu dans les années 2000 et qui est une personne qui a beaucoup fait pour la lutte contre l’impunité. Vous avez eu ensuite Souhayr Belhassen, qui est une femme tunisienne et qui a été présidente de la FIDH au moment du « printemps arabe », qui est une représentante très importante pour la FIDH et une voix très forte parmi les pays qui étaient dans ces mouvements de révolte et de résistance. C’est aussi une personne qui a beaucoup fait pour défendre les droits des femmes, notamment dans ces pays. Puis, enfin, notre présidente actuelle, qui s’appelle Alice Mogwe, qui vient du Botswana, qui est aussi une grande militante, une grande militante pour l’abolition de la peine de mort ou de la protection des minorités. Donc, ce sont trois personnes qui viennent de nos organisations africaines, qui ont joué effectivement un rôle essentiel dans la construction de l’identité de la FIDH. Et c’est aussi cette diversité, qui est la richesse de la FID