Après le Covid-19, le spectre d’une épidémie de suicides en France ?

Depuis plusieurs mois, psychiatres et psychologues à travers le monde alertent sur l’état mental des populations confrontées aux restrictions sanitaires dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Alors que le Japon a enregistré un nombre plus élevé de suicides, en France, le sentiment de solitude et de mal-être augmente.

C’est une première depuis 11 ans. Le nombre de suicides au Japon, qui possède déjà l’un des taux les plus élevés au monde, a augmenté en 2020. Un problème de santé publique jugé suffisamment grave pour que le Premier ministre, Yoshihide Suga, désigne un « ministre de la Solitude », vendredi 19 février.

Tetsushi Sakamoto aura la lourde tâche d’endiguer ce fléau qui pourrait avoir été favorisé par l’essor du télétravail et le manque de relations sociales engendré par les restrictions pour lutter contre le Covid-19.

Pratiquement 21 000 personnes se sont suicidées au Japon l’année dernière, soit 750 de plus qu’en 2019. Une hausse d’autant plus marquante qu’elle intervient après une décennie de baisse du nombre de suicides.

Cette augmentation est particulièrement visible chez les femmes, qui occupent souvent les emplois les plus précaires dans l’archipel.

Les chiffres des suicides des jeunes de moins de 18 ans sont également alarmants : plus de 300 élèves du primaire et du secondaire se sont suicidés entre début avril et fin novembre 2020, un bond de près de 30 % par rapport à la même période l’année précédente.

Depuis le début de la pandémie, des experts du monde entier s’alarment des risques d’augmentation des suicides en raison de facteurs comme le stress, les difficultés économiques ou encore les abus familiaux.

Signes inquiétants

Pour le moment, impossible de savoir si la France, qui possède l’un des taux de suicide les plus élevés d’Europe, avec 9 000 décès par an, a connu une flambée de cas durant cette crise sanitaire. Des statistiques solides ne seront pas disponibles avant plusieurs années.

Cependant, plusieurs études indiquent que le sentiment de solitude et de mal-être a augmenté au sein de la population. Entre les confinements, les couvre-feux, les fermetures des bars et restaurants, des salles de spectacles… l’épidémie de Covid-19 a porté un sérieux coup à la vie sociale de millions de personnes qui peuvent souffrir plus ou moins fortement de cet isolement.

Selon une étude Ipsos publiée fin janvier pour l’association Astrée, près de 18 % des personnes interrogées, soit 1 Français sur 5, affirment se sentir toujours ou souvent seules, contre 13 % en 2018. En outre, le sondage montre que 63 % des individus souffrant de solitude ont eu des pensées suicidaires.

Des signes inquiétants remontent également du terrain de la part de professionnels aguerris. Les numéros d’écoute comme SOS Amitiés sont débordés assure Françoise Facy. « Nos associations adhérentes constituent des points d’alerte et tous les numéros d’écoute nous indiquent que le nombre d’appels a explosé », explique l’ancienne présidente de l’Union nationale de prévention du suicide (UNPS) contactée par France 24.

« Il faut toutefois distinguer, l’idéation, la pensée suicidaire, du passage à l’acte avec la tentative de suicide », nuance Françoise Facy.

Jeunes en première ligne

Les étudiants sont régulièrement cités parmi les segments de la population mondiale les plus fragilisés par la crise sanitaire. Aux États-unis, les statistiques nationales sur les suicides d’adolescents ne sont pas encore disponibles mais certaines situations au niveau local donnent une tendance particulièrement frappante.

Dans un comté du Nevada, qui englobe Las Vegas, 19 élèves se sont suicidés depuis mars, plus du double du chiffre de 2019. S’ils ne peuvent être attribués directement à la pandémie, les autorités ont décidé d’accélérer le calendrier de réouverture des écoles.

En France, selon une enquête publiée en janvier pour la Fondation FondaMental, près d’un jeune sur trois a eu des « pensées suicidaires » ces derniers mois.

Sylvie Tordjman, chef du pôle hospitalo-universitaire de psy­chia­trie de l’enfant et de l’adolescent de Rennes, révèle à France 24 que ses services ont enregistré deux fois plus d’épisodes de « crises suicidaires »  et de « troubles anxio-dépressifs » durant cet hiver par rapport à la même période de l’année dernière.

La professeure en pédopsychiatre explique ce phénomène notamment par le « dérèglement des horloges biologiques » durant le confinement et le reconfinement, « terrain de vulnérabilité aux troubles anxieux et dépressifs » ou encore le « manque d’activité physique » induit par la sédentarité.

Prise de conscience

En France, pour venir en aide aux jeunes fragilisés, les pouvoirs publics ont lancé, début février, « le chèque psy » qui doit permettre à des étudiants de bénéficier de trois consultations gratuites chez un psychologue ou un psychiatre.

Plusieurs plateformes d’informations ont également vu le jour comme « Écoute étudiants Île-de-France ».

« Cette plateforme permet aux jeunes d’avoir des conseils et surtout un accès direct à des professionnels de santé compétents », précise le psychologue clinicien Jean Petrucci.

Les services de santé destinés aux étudiants sont en effet souvent démunis face à la demande de jeunes en détresse psychique. En France, on estime qu’il y a seulement 1 psychologue pour 30 000 étudiants.

« La crise du Covid a été un révélateur pour bon nombre de sujets. Cette situation inouïe a mis en lumière certaines fragilités de notre système de santé, assure Jean Petrucci. Heureusement, on est en train d’en prendre conscience ».

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