Le 29 mars, le ministre de la Défense, le général Fernando Azevedo e Silva, annonçait son départ du gouvernement. Ce proche de Jair Bolsonaro est alors remplacé par un autre général, Walter Braga Netto, déjà membre du gouvernement. Le premier aurait périodiquement émis des réserves vis-à-vis du « patron », tandis que le second semble plus enclin à suivre à la lettre les ordres du président brésilien.
Le lendemain, à la surprise générale, les chefs des trois forces (armée de l’air, armée de terre et marine) démissionnaient collectivement après l’éviction de leur ministre de tutelle, exprimant ainsi publiquement leur désaccord avec le président.
Pour Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, le président brésilien a clairement tenté « un coup de force pour reprendre en main l’armée brésilienne » et celle-ci lui a répondu « en prenant ses distances pour ne pas entamer son crédit auprès de l’opinion publique du fait de sa participation au gouvernement Bolsonaro et sa gestion désastreuse de la pandémie ».
Depuis le début de sa présidence, Jair Bolsonaro a fortement « militarisé » son gouvernement : un tiers des ministres sont issus de l’armée, une proportion plus importante que sous le régime militaire instauré après le coup d’État de 1964. Et le président a même tenté un « auto-coup d’État« , rappelle le politologue : en mai 2020, au cours d’une réunion de cabinet (dont l’enregistrement avait fuité dans la presse), le président avait évoqué la fermeture du Congrès et la destitution des 11 juges de la Cour suprême par les forces armées, ce que les généraux avaient refusé de faire.
L’armée brésilienne s’interroge
Après deux ans et demi de présidence Bolsonaro, l’armée brésilienne constitue l’ossature du gouvernement actuel et n’est plus l’institution neutre et soumise au pouvoir politique qu’elle était devenue.
Pour Armelle Enders, historienne à l’université Paris 8 et spécialiste du Brésil, un véritable parti militaire s’est constitué dès 2014, contribuant activement à la destitution de Dilma Rousseff en 2016 et à la condamnation puis à l’inéligibilité de Lula en 2018, à quelques mois du scrutin présidentiel qui a vu la victoire de Jair Bolsonaro.
« Les militaires sont revenus au pouvoir », estime-t-elle, mais « l’institution n’est pas monolithique et ne manque pas d’esprits lucides. La faillite du gouvernement sera aussi celle des forces armées. Le passage désastreux du général Pazuello par le ministère de la Santé a sérieusement entaché la réputation d’efficacité des militaires. Le fossé est en train de se creuser entre les militaires qui veulent s’en tenir à leur mission constitutionnelle et ceux qui sont prêts à faire le coup de feu contre le Congrès, les gouverneurs ou la Cour suprême. »
Eduardo Heleno, spécialiste des études stratégiques à l’Université fédérale Fluminense de Rio de Janeiro, ajoute dans une interview au quotidien El País que « si les nouveaux commandants des forces armées veulent diminuer la politisation de l’armée, il faudrait qu’ils se retirent des postes [de pouvoir] qu’ils occupent et retournent dans les casernes. Mais il n’y a pas le moindre indice qu’ils en aient l’intention. »
Hécatombe sanitaire et spéculations politiques
Si l’armée a contribué à affaiblir la démocratie au Brésil ces dernières années, quand elle s’oppose à Jair Bolsonaro, c’est visiblement dans le but de préserver son influence. Pas question de se brûler les ailes en liant son destin trop étroitement à un président dont la popularité baisse à mesure que le nombre de victimes du Covid-19 explose.
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Comme l’armée, d’autres institutions brésiliennes jouent un jeu difficile à décrypter. Pour Gaspard Estrada, « certes, le pouvoir judiciaire a stoppé les initiatives les plus fantasques de Jair Bolsonaro contre la démocratie. Mais en ayant légitimé sur le plan juridique la condamnation de Lula qui, avec un peu de distance, se révèle être une grande absurdité, l’institution judiciaire est partie prenante de la crise politique brésilienne, cette dystopie qui s’est installée depuis plusieurs années. »
Face à un président qui indiscutablement cherche à affaiblir les institutions et rêve de mettre en place un régime autoritaire, le pouvoir judiciaire comme l’armée semblent hésiter.
Finalement, c’est l’ampleur de la crise sanitaire qui pourrait faire basculer le destin politique de Jair Bolsonaro. En effet, selon certaines projections, le Covid-19 pourrait faire 500 000 morts au Brésil d’ici au mois de juillet (actuellement le bilan s’élève à plus de 300 000 morts) et il est vraisemblable que le pays devienne l’épicentre mondial de la pandémie. Plusieurs pays latino-américains ont d’ailleurs décidé de fermer leur frontière avec le Brésil, craignant la propagation de plusieurs variants qui sont apparus ces dernières semaines.
Quand viendra l’heure des bilans et des comptes à rendre, il sera alors temps de s’interroger sur la loyauté des militaires et des politiques qui soutiennent encore le projet autoritaire de Jair Bolsonaro.
En effet, le 25 mars, un allié du président brésilien, le président de la Chambre des députés, a demandé « une réorientation complète de la politique de lutte contre la pandémie », sans quoi les parlementaires pourraient avoir recours « à des remèdes politiques amers ». Une menace à peine voilée de lancer une procédure d’impeachment contre l’ex-capitaine enfermé dans le négationnisme mortifère de l’épidémie de Covid-19.
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