Le Chili débute dimanche le processus de rédaction de sa nouvelle Constitution, avec l’installation officielle de l’assemblée chargée de l’élaborer : 155 citoyens élus à l’issue d’un processus démocratique inédit, après des mois de vive contestation sociale.
Les membres de l’Assemblée constituante, dont les travaux commencent dimanche 4 juillet, auront 9 mois minimum, 12 maximum, pour tenter d’élaborer la nouvelle Loi fondamentale. Dans l’histoire du Chili, « c’est la première fois que les citoyens ont pu élire un corps pour écrire » une Constitution, souligne auprès de l’AFP Claudio Fuentes, professeur à l’Université Diego Portales.
À l’issue du vote des 15 et 16 mai, les 155 nouveaux constituants sont apparus comme très hétérogènes. Les candidats indépendants représentent 40 % des élus, au détriment des listes montées par les partis traditionnels. Cette assemblée est entièrement paritaire et 17 de ses sièges ont été réservés à des représentants des peuples indigènes.
Les nouveaux élus prêteront serment dimanche dans les jardins de l’ancien Parlement à Santiago, en raison des contraintes sanitaires liées à la pandémie. Ils procéderont à l’élection de leurs président et vice-président. Par la suite, les sessions auront lieu dans l’ex-Parlement ou dans un autre édifice public du centre de la capitale.
Pour de nombreux analystes, cette constituante « ressemble au Chili réel », avec des militants écologistes, des dirigeants communautaires, des avocats, des professeurs, des journalistes, des économistes, mais aussi des femmes au foyer. Le médecin Gaspar Dominguez, installé en province, en fait partie et il se réjouit sur Twitter des débuts de travaux de cette assemblée en commentant « c’est réél ».
Les représentants des partis politiques traditionnels sont minoritaires et aucune force politique ne dispose du tiers nécessaire pour opposer son veto, les délibérations devant être approuvées aux deux tiers.
« Il y a une rupture très profonde entre la société et les institutions, une remise en question du rôle des partis politiques », analyse Marcela Rios, du Programme des Nations unis pour le développement au Chili.
Référendum en 2022
Parmi les membres de la constituante, une vingtaine faisaient partie des Chiliens spontanément descendus dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol lors de la fronde sociale qui a éclaté le 18 octobre 2019. Ciblant d’abord une hausse du prix du ticket de métro à Santiago, la contestation s’est vite transformée en un mouvement sans précédent contre les inégalités sociales.
Face à l’ampleur des manifestations, qui ont culminé le 25 octobre 2019 avec 1,2 million de Chiliens dans les rues de Santiago, les partis politiques avaient conclu un accord historique pour un référendum sur un changement de Constitution, finalement plébiscité à 79 %.
De nombreux manifestants pointaient alors du doigt le texte, voté en 1980, comme le pivot du système économique ultralibéral mis en place sous Augusto Pinochet (1973-1990) et un frein à toute réforme sociale de fond.
« C’est une lumière d’espoir et un synonyme de la lutte dans la rue », explique à l’AFP Ingrid Villena, une avocate de 31 ans, spécialisée dans la violence contre les femmes, qui dit avoir été élue par des gens du « peuple » comme elle. « Du peuple, c’est-à-dire savoir ce que cela signifie de se lever tous les jours à 6 h du matin, travailler plus de 12 heures par jour, avoir deux emplois pour survivre en s’endettant et ne pas pouvoir payer des choses aussi basiques que la nourriture ou la santé », résume-t-elle.
Pour Jaime Bassa, 44 ans, élu dans le centre-ouest du pays, qui promeut depuis des années en tant qu’avocat spécialiste un changement de Constitution, cette dernière doit garantir « la protection des droits sociaux, car derrière ces droits sociaux, il y a aussi la volonté de répartir plus équitablement les richesses du pays ».
À l’autre bout du spectre idéologique, la candidate de la droite conservatrice, Marcela Cubillos, ex-ministre du gouvernement du président Sebastian Piñera et qui a fait campagne pour le ‘non’ au référendum, veut défendre le bilan de trois décennies de démocratie, « les meilleures de l’histoire du Chili ».
« La droite a accepté en silence le discours de la gauche qui veut nous faire croire qu’elles ont été les 30 années les pires », a déclaré la deuxième candidate la mieux élue du pays, même si son parti a été un des grands perdants du scrutin. À l’issue de leurs travaux, la nouvelle Constitution sera soumise à un nouveau référendum en 2022. En cas de rejet, le texte actuel restera en vigueur.
Avec AFP