Il est des périodes où même les charlatans les plus éclairés sont incapables de prédire avec certitude ce qui va se jouer dans les jours, mois voire années à venir. Après la période d’enthousiasme débordant, mais fugace, qui a entraîné les Guinéens dans une sorte de frénésie collective ; la température commence à redescendre. Tout atteste que l’humeur publique semble laisser place à la raison.
Pour ce qui le savent, l’opinion publique est versatile, c’est son caractère éphémère qui déjoue les prévisions les plus optimistes des Instituts de sondage en Occident, les induisant constamment en erreur. De ce fait, plusieurs questions concernant la situation politique de notre pays se posent aujourd’hui avec acuité. Mais aussi nombreuses soient-elles, quelques-unes sont plus évidentes que d’autres.
En effet, après avoir raté le bon chemin à suivre tout au long de son histoire politique, la question suivante se pose à présent aux Guinéens : comment la Guinée va-t-elle s’en sortir ? La saillance de plusieurs signes permet d’échafauder une réflexion en se fondant sur la trilogie passé-présent et avenir.
Trois coups d’Etat, même constat, des résultats amers et désespérants
Au cours de la période dominée par la Chose Populaire et Révolutionnaire, la Guinée a connu un régime politique stable à la différence de nombreux pays africains qui avaient déjà sombré dans de putschs militaires sanglants. Toutefois, cette stabilité de façade allant de 1958 à 1984 cachait l’enfer des Guinéens.
Depuis le renouveau intervenu en 1984, la tradition des coups d’Etat militaires s’est installée dans notre pays sans que cela ne change en profondeur la vie des citoyens. Or cette habitude de seconde nature a influencé durablement aussi bien la mentalité que l’attitude des militaires envers l’exercice du pouvoir ; les éloignant ainsi de l’esprit républicain qu’ils devraient incarner et défendre avec patriotisme. Cette situation représente le premier danger qui guette la Guinée pour deux raisons : i) Un coup d’Etat est un facteur aggravant d’instabilité politique, ii) on décompte trois déjà, et rien n’indique aujourd’hui qu’il n’y aura pas d’autres coups de force en Guinée. La conséquence en est qu’aucun projet viable ne peut être mis en œuvre dans un pays instable.
D’ailleurs, il n’est pas besoin de préciser que la stabilité politique s’avère indispensable à tout pays, si ses dirigeants nourrissent l’ambition de lui assurer un développement économique durable. La raison à cela est simple : la stabilité rassure les investisseurs étrangers. Or tout en étant instable, notre pays a besoin d’eux pour créer des entreprises génératrices de richesses et d’emplois. La Guinée dispose certes de potentialités économiques considérables, mais l’image de notre pays qui circule dans le monde n’attire pas grand monde.
Pourtant, le seul développement de l’industrie touristique aurait suffi à nous sortir de la pauvreté. Le tourisme booste plusieurs secteurs économiques, mais pour que cela soit possible, il faut une stabilité durable, ce qui est loin d’être acquis dans notre pays.
De nos jours, avec le développement des moyens de communication, il suffit d’un seul mort dans le coin le plus reculé pour que cela fasse le tour de la planète. C’est ainsi qu’à force de violence répétée, l’image de la Guinée, qui circule dans le monde, loin d’être reluisante, rabat plutôt les cartes. On n’en parle qu’en termes de « pays de merde ».
Un lourd héritage dans le présent qui amenuise l’espoir d’un futur certain
C’est d’ailleurs un truisme de dire que la Guinée traîne derrière elle un lourd héritage à assumer. Toutefois une seule certitude s’impose ; cet héritage se résume à quatre insuffisances essentielles : i) la mauvaise gouvernance, ii) l’enfermement dans un communautarisme politique non dénoué d’une certaine dose d’extrémisme, iii) l’accommodation de la violence, iv) enfin la pénurie de ressources humaines qualifiées. Ces quatre maux englobent tous les autres problèmes sociopolitiques dans lesquels est empêtrée la Guinée.
Ce qui se trame en arrière-plan de cette réflexion, infère qu’en établissant avec certitude les quatre grandes casseroles que nous traînons derrière plus de soixante ans d’indépendance, nous postulons d’emblée qu’il sera difficile au CNRD de se libérer : a) de la tentation d’un pouvoir autoritaire ; b) de se prémunir de tous les garde-fous contre une dérive communautariste ; c) de jeter les bases d’un diagnostic de la situation en déléguant cette responsabilité à des commissions composées de personnes avisées et intègres, susceptibles de mener ce travail sans parti-pris ; d) enfin de poser les jalons d’un Etat unitaire avec l’organisation d’élections libres et transparentes dans un climat apaisé.
L’avenir de la Guinée se joue dans une transition réussie
S’il s’avère facile de spéculer sur la transition en cours, on peut quand même se permettre d’affirmer avec certitude que plusieurs difficultés pointent à l’horizon de la vie politique guinéenne. Au-delà de quelques décisions visant à rassurer l’opinion publique, propres d’ailleurs à toute junte militaire qui vient de s’emparer du pouvoir, des incertitudes demeurent à présent quant à l’aptitude du CNRD de maintenir la paix sociale tout en résorbant les multiples problèmes qui s’annoncent dans les jours voire les mois à venir.
En faisant du touche-à-tout et en prenant des décisions parfois à l’emporte-pièce, la junte militaire montre une certaine fébrilité dans ce désordre. Or on sait de nos jours, que la force des armes n’arrive pas toujours à contenir les mouvements sociaux. Cette force pouvant d’ailleurs attiser davantage la tension sociale.
On constate, par exemple, que certaines annonces comme la convocation des DAF des services de l’Etat, celles des anciens ministres, entre autres, sont dénouées de sens car elles passent plutôt pour des décisions sans lendemain voire de la poudre aux yeux visant à aveugler le peuple. De la même manière, les rencontres cérémonieuses avec des parents de victimes de la répression, pour se refaire une sorte virginité, ne suffiront pas à calmer les esprits alors que les bourreaux jouissent de leur liberté.
A force de vraisemblance, de telles décisions ne rassureront plus personne, dans la mesure où seules des commissions constituées en vue de poser le vrai diagnostic de la situation sont susceptibles d’œuvrer au grand bonheur des Guinéens. Il ne suffit pas de donner l’impression de bien faire, mais il faut poser en revanche des actes concrets en prélude à des actions concrètes.
Aujourd’hui, dans l’attente de ce qui va se passer, le calme couve sans doute la tempête, et tout se passe comme si, pour s’attirer la faveur du peuple les décisions de la junte militaire au pouvoir étaient émaillées de démagogie. En effet, des actes cérémonieux comme la visite chez des notables, de dames âgées, de cimetières, de camps de la mort, entre autres, sont certes de gestes d’apaisement hautement symboliques, permettant de circonvenir l’opinion publique de façon éphémère, mais de telles dispositions finissent toujours par s’effriter sur le long terme.
L’expérience a montré, chez tous les peuples, que les sentiments et les convictions partagées prennent toujours le dessus sur l’organisation de liturgies politiques visant à déclencher une ferveur en faveur du pouvoir. Contrairement à ces actes, attitudes de bonne foi, que nos braves militaires des forces spéciales affichent au quotidien, plusieurs décisions prises par le CNRD suscitent déjà un grand désarroi.
On peut citer, entre autres, le recyclage de certains dignitaires des pouvoirs précédents, les faveurs mirobolantes accordées à des officiers et à leurs familles, des nominations à compte-gouttes, sujettes à caution, qui frisent l’opacité dans l’exercice du pouvoir. Si de telles nominations protègent la junte d’un éventuel contre-coup, elles sèment au contraire un profond doute dans l’esprit du citoyen. Enfin, plutôt que de précipiter en masse des gens par la fenêtre, il aurait été plus sage de dresser l’Etat de la situation auparavant conformément à l’esprit de justice.
Finalement, cinquante jours après l’humiliation flagrante du président déchu, une certaine errance dans la manière d’exercer le pouvoir est à l’œuvre. On baratine d’un côté les victimes, on compose d’un autre côté avec les bourreaux. Cette oscillation référentielle entre la mise en scène d’une bonne volonté de changer les choses et celle de recycler les habitudes solidement ancrées dans le corps social cache le relent d’une démagogie : concilier deux situations antithétiques (la chose et son contraire).
Cette dissimulation soulève quelques questions : Que va-t-il se passer dans la sphère publique aussitôt après l’éclatement des premières crises sociales ? Quelle va être l’attitude de la junte militaire face aux mouvements sociaux qui vont certainement troubler la quiétude citoyenne ? En attendant de trouver des réponses à ces questions, un petit congé momentané s’impose pour se refaire les idées plus nettes.
Alpha Ousmane BARRY
Professeur des Universités en France