La crise politico-sécuritaire dans laquelle est plongé le Mali depuis bientôt deux ans a atteint un autre niveau ce week-end avec les nouvelles sanctions de la CEDEAO. En adoptant des sanctions aussi lourdes qui n’ont de précédent que la crise ivoirienne de 2010-2011, l’organisation sous régionale espère faire fléchir les maitres de Bamako. Mais Abuja n’a-t-elle pas poussé le bouchon trop fort ? Dos au mur, les autorisées maliennes pourraient se révéler plus imprévisibles et prendre des décisions inédites aux conséquences incalculables pour la région mais aussi pour une certaine France.
Réunis en session extraordinaire à Abuja le 9 janvier 2022, les chefs d’Etats Ouest africains n’ont pas fait de cadeau à la junte militaire au pouvoir à Bamako depuis le 18 août 2020. Jusque-là les sanctions prises s’étaient limitées au gel des avoirs des putschistes et à l’interdiction pour ces derniers de voyager dans l’espace CEDEAO. Pas assez pour calmer les ardeurs de Goïta et de son gouvernement. Cette fois, la CEDEAO a sorti l’artillerie lourde contre les commandos de Bamako. Elle adopte des mesures hyper drastiques qui jusqu’à présent n’avaient été prises qu’en 2010-2011 lors de la sanglante crise poste électorale en Côte-d’Ivoire. Fermeture des frontières terrestres et aériennes des Etats de la CEDEAO avec le Mali, gel des avoirs de l’Etat malien a la BCEAO et… intervention militaire. C’est l’hécatombe. Si ces mesures sont appliquées, il est évident que les conséquences seront dramatiques pour un Mali enclavé et totalement dépendant des ports de pays voisins comme la Guinée, la Côte-d’Ivoire ou le Sénégal. Or, il est évident que ces deux derniers pays appliqueront à la lettre les sanctions de la conférence d’Abuja, et ce pour plusieurs raisons.
Le président Alassane Ouattara est à son troisième mandat après modification de la constitution de son pays. S’il a la chance d’être épargné par coup d’Etat pour le moment, il reste sur ses gardes et craint une contagion dans son pays après les putschs intervenus chez ses voisins malien et surtout guinéen. Alpha Condé n’était-il pas son conseiller politique ?
Pour le Sénégal, il règne encore un flou sur une possible candidature ou non du président Macky Sall pour un troisième mandat. Ce dernier ferait tout pour discréditer les putschistes de Bamako surtout qu’un Ousmane Sonko affirme clairement soutenir Goita et ses acolytes.
Ces deux chefs d’Etat et leurs homologues n’ont aucun intérêt à voir réussir une transition militaire à leurs portes.
Pour la Guinée, également sur le banc de la CEDEAO depuis le 5 septembre 2021, le CNRD a déjà fait savoir qu’il n’est pas question de fermer les trois frontières du pays avec le «peuple frère du Mali». Deux poumons dans un même corps dit-on. Une aubaine pour son frère d’armes de Bamako qui bénéficie ainsi d’un soutien de taille au vu de l’importance des importations du Mali via le port de Conakry.
Mais au-delà de ces supputations, les mesures de la CEDEAO risquent certainement de créer un effet boomerang si les choses restent ainsi. En effet, les relations exécrables entre Paris et Bamako ne sont un secret pour personne. Les deux Etats sont peut-être au bord de la rupture diplomatique depuis les propos discourtois tenus de part et d’autre en septembre dernier. En gelant ainsi les avoirs de l’Etat malien à la BECAO, l’UEMOA précipite peut-être l’indépendance monétaire du Mali, très à cheval en ce moment sur sa relation avec la France, imprimeur du CFA et garant de la zone franc. Ce n’est pas la Russie ou la Chine qui va bouder cette opportunité en or pour imprimer les nouveaux billets du Mali. Les sanctions du dimanche 9 janvier 2022 sonnent comme un brusque réveil de tous les pays membres de cette zone quant à leur indépendance monétaire et donc leur réelle indépendance. Elles montrent combien ils sont fragiles sur le plan économique si de telles mesures devaient un jour s’abattre sur eux pour une raison ou pour une autre. Du pain béni pour tous les détracteurs du franc CFA qui n’arrêtent pas d’accuser cette monnaie, arrimée a l’euro et garantit par le trésor public français, comme une monnaie coloniale et un des facteurs du retard socio-économique des pays qui l’utilisent. Si le coup de colère des chefs d’Etat de la CEDEAO pousse les militaires maliens à sortir de la zone franc et à frapper une monnaie pour le Mali, l’effet domino ne tardera pas à se faire sentir dans les autres pays membres de la zone. Dans son retranchement, Assimi Goïta doit surement envier le colonel Mamadi Doumbouya qui dirige un pays ayant sa propre monnaie et disposant d’une façade maritime de 350 km, flanquée d’un port en eau profonde à Conakry et un autre plus petit à Kamsar.
L’autre pendant des sanctions de la CEDEAO est la gestion de la transition guinéenne. Même s’il ne s’inscrit pas totalement dans le scenario malien, le cas de la Guinée reste préoccupant pour une organisation sous régionale à bout et fortement décriée. Complaisante vis-à-vis du troisième mandat du président Alpha Condé, la CEDEAO et les nouveaux hommes forts de Conakry n’enfourchent pas la même trompette sur plusieurs questions notamment la durée de la transition. Si la junte guinéenne a accédé à certaines requêtes de la CEDEAO relatives à la libération sous surveillance de l’ex-président, elle semble hermétique quant à la durée de la transition proposée par l’organisation et garde le mystère sur son chronogramme. En sanctionnant aussi lourdement le Mali, le CEDEAO envoie un message fort au CNRD et donne involontairement des idées à celui-ci. En cas de crise majeure dans la transition guinéenne, la junte sait là où Abuja va frapper et il est évident que contrairement au Mali, les conséquences seront moins désastreuses pour la Guinée si des sanctions similaires sont adoptées. Au vu des atouts naturels dont elle dispose et de son indépendance monétaire cités ci-haut. Mais chaque pays ayant ses spécificités, nul ne doute que la CEDEAO ne manquera pas d’ingéniosité pour clouer à son tour la Guinée si le CNRD venait à se laisser inspirer par le scenario malien. Le refus de la junte guinéenne d’appliquer les sanctions de la CEDEAO est déjà un pied de nez à l’endroit de l’organisation. Est-ce un début de bras de fer entre Abuja et Conakry ?
Bref, 2022 commence avec un véritable imbroglio politico-diplomatico-sécuritaire pour la zone ouest africaine. Les semaines et les mois à venir nous en diront plus sur l’avenir plus qu’incertain de cette zone qui avait pourtant pris un bon envol économique dans les 2000.
Alpha Oumar DIALLO