Monsieur [Tierno] Monénembo, dans sa tribune sur l’Affaire Nanfo Diaby, rapporte qu’un islamologue du nom de Monsieur Mohamed Talbi, dont l’avis serait que l’on peut prier dans la langue de son choix. Le “célèbre” savant illustre sa pensée par une bien curieuse citation.
« Si Dieu parle et qu’il veut que Sa Parole soit un défi lancé à l’humanité, la dictée est divine, mais l’expression est humaine. Cela peut être dans n’importe quelle langue. Ce n’est pas spécifique à la langue arabe… C’est une parole théandrique, entièrement divine en amont. Mais, en se réfractant dans l’Histoire, elle ne peut parvenir aux hommes que si elle leur parle dans leur langue… En aval, parole entièrement humaine. Elle est soumise à toutes les approches possibles, philologiques, linguistiques. »
Il est bon d’éviter de se faire l’écho des personnes dont on ignore les motivations et la moralité. Cela est d’autant plus important dans le domaine sensible de la foi, car le degré d’érudition d’une personne ne peut en aucune façon justifier de la sincérité de sa foi. On peut suspecter celle de Monsieur Talbi à travers sa citation pour trois raisons.
Premièrement, venant d’un islamologue, l’expression “si Dieu parle et qu’Il veut que Sa Parole soit un défi pour l’humanité”, est une bien curieuse façon de parler de Dieu. Elle donne l’impression qu’on parle d’une personne du commun. Il ne convient pas qu’on parle de Dieu en ces termes. Islamologue ou simple gens, quiconque réalise véritablement la majesté de Dieu ne parlerait pas de Lui de cette manière. Dieu n’a pas à défier sa créature, Il lui ordonne expressément. Libre à elle d’obtempérer ou de se rebeller.
Deuxièmement, “La dictée de la Parole de Dieu est divine ; son expression est humaine”. Cela est une évidence qui n’apprend rien au musulman lambda.
Oui ! Dieu a parlé à Ses Prophètes-Messagers soit directement, soit par l’intermédiaire de l’Ange Djibril (AS), d’une façon dont Lui seul a le secret. Cela relève de l’insaisissable. Chacun de ces Prophètes a reçu le message et l’a transmis dans la langue de son peuple.
Puisqu’il n’y a pas eu autant de Prophètes que de groupes linguistiques, le Créateur a modelé l’Homme d’une façon telle que chacun peut comprendre et articuler n’importe quelle langue, pourvu qu’il s’en donne le temps et l’effort nécessaires.
C’est pourquoi je réplique au Grand Islamologue. Son affirmation que l’immense majorité des musulmans prie en charabia est fausse. Il y a de par le monde des millions de non-musulmans qui maîtrisent la langue arabe autant que lui, si non plus. Ce n’est pas parce que Monsieur Talbi a pu rencontrer des personnes en difficulté d’articulation de l’arabe qu’il peut tirer une si saugrenue conclusion. Et Monsieur Monénembo ne dira pas le contraire de cela vu son niveau à lui et sa qualification en langue française alors qu’il n’est pas né français. L’arabe n’est pas plus compliqué que le français.
Troisièmement, “C’est le Coran qui est sacré et non l’arabe”. Cela est une autre évidence pour tout musulman. Et c’est justement pour ne pas profaner le sacré, qu’il faut se garder de trop liberté en le pratiquant. Le langage du Saint Coran est spécial. Il ne suffit même pas d’être d’expression arabe pour le comprendre. Il s’apprend au-delà de la langue.
La question de prier ou pas dans des langues autres que l’arabe n’est pas à examiner à l’aune des principes de droits humains ou de la laïcité. L’amalgame a est créé du fait de la caporalisation du religieux par l’Etat en Guinée. L’Organisation confessionnelle nationale normalement habilitée à gérer ce genre de questions est à dessein réduite à néant.
Pour la privation de liberté et la destruction de biens dont Nanfo Diaby a fait l’objet, il a droit à une réparation juste. Cependant, son statut de musulman ne lui a été dénié par personne. Il n’est nullement empêché de vivre sa foi ou de pratiquer sa religion pour arguer la laïcité dans l’affaire. La question se pose plutôt en terme d’ordre et de discipline au sein d’une même confession religieuse.
Monsieur Nanfo peut bel et bien continuer la récitation de ses prières en maninka. Dans un cadre privé c’est son droit. Mais lui interdire d’officier dans un cadre public est une juste et salutaire mesure de prévention du désordre et de sédition, par l’autorité compétente. Tant il est vrai qu’en tant qu’imam, il appartient à une organisation structurée obéissant à des normes et règles.
Au demeurant, s’est-on interrogé sur le besoin dont procède l’office de la prière en maninka ? Pourquoi un Cadre religieux se focaliserait sur une question aussi clivante, pendant celles plus essentielles de la connaissance d’Allah et de Sa crainte, celles de l’éducation des fidèles à la droiture et au bon comportement, et autres encore et encore sont pendantes ?
Quelle confusion créerait l’office public de la prière en langue nationale sachant que la traduction ou l’interprétation d’un même verset peut être nuancée et même largement différer d’un imam à un autre, ce dans une même langue. Qu’en serait-il alors avec imams vs fidèles de langues différentes ? Peut-on objectivement obtenir la concentration dans la prière dans ces conditions-là ? A moins qu’on ne veuille désormais banaliser et décimer les derniers remparts de la citadelle de notre âme ?
Qu’Allah nous en garde tous. Puisse t – Il nous inspirer mieux et nous mettre sur la voie droite. Aameen !
Sény Facinet Sylla
Ex-Secrétaire Général Adjoint des Affaires Religieuses