La Transition étant propice aux débats, nous vous proposons ci-dessous une proposition portant sur un point fondamental de la période exceptionnelle que vit la Guinée, depuis le 5 septembre. Le contributeur aborde ici les élections devant parachever l’intermède que nous vivons. Son souci, comment rendre celles-ci crédibles et inclusives. Et pour y répondre, il se penche sur deux aspects. D’abord, le fichier électoral dont la fiabilité est une condition essentielle de la crédibilité d’un scrutin. Il propose alors que l’on commence par un recensement général de la population. Mais il s’empresse d’ajouter, une simulation à l’appui, que ce ne sera pas nécessairement un prétexte pour allonger indéfiniment la transition. Ensuite, combien de candidats devrait-on admettre à la prochaine présidentielle ? L’auteur de cette réflexion nous soumet une réponse tout aussi imparable qu’objective. Lisez plutôt
Le fichier électoral (liste des électeurs) est un élément essentiel pour toute compétition électorale. C’est lui qui détermine la taille du corps électoral et le nombre qui fait gagner un candidat ou une candidate. La pratique jusque-là, en Guinée, est d’entreprendre un recensement à but exclusivement électoral pour préparer le fichier pour chaque cycle électoral. A défaut d’une reprise totale du fichier, celui-ci est révisé avant chaque élection. Mais deux manquements sont souvent reprochés à ce fichier : la présence de personnes ne devant pas y être (morts, mineurs ou doublons), et l’omission de personnes devant y être. Les contestations des résultats des scrutins ont, pour origine principale, le manque de confiance dans le fichier électoral.
Notre proposition pour dépasser ce problème est de mettre à profit cette période de transition pour lier le fichier électoral au registre de l’état civil modernisé. Ce faisant, on aura non seulement enlevé une grosse épine au pied de nos processus électoraux, mais aussi jeté les jalons d’un État moderne. Pour ce faire, nous préconisons trois actions complémentaires : (1) recensement général et biométrique de l’ensemble des populations guinéennes ; (2) obligation de l’enregistrement des naissances ; et (3) interdiction de l’enterrement des morts à l’insu des autorités compétentes. Les cartes d’identité nationales et les permis de conduire biométriques seront alors émis à partir de ce registre. Un numéro d’identifiant unique sera aussi attribué à chaque citoyen qui le suit pour sa vie. À partir de cet instant, on n’aura plus besoin de carte d’électeurs et on fera des économies d’échelle.
En lisant ces lignes, d’aucuns pourraient se demander combien de temps faudra-t-il pour établir un tel registre et à quel coût. Sur ce dernier point, l’on peut dire que ça coûterait environ le double des coûts d’une refonte du fichier électoral. En effet, le corps électoral représente à peu près la moitié de la population. Quant au temps nécessaire, cela dépendra de la volonté politique des autorités et des moyens mis à la disposition pour acheter les équipements et recruter et former les personnes ressources. La CENI dispose déjà de beaucoup d’équipements. Des centaines de jeunes guinéens ont été formés sur les techniques de recensement biométrique. Plusieurs partenaires sont disposés à contribuer au financement d’un tel projet. L’institut national des statistiques peut être mis à contribution, sinon prendre la relève de la défunte CENI pour ce recensement.
Comment faire alors ? Nous avons une population estimée à 15 millions d’âmes. Un opérateur bien formé peut aisément recenser, en moyenne, 50 personnes par jour à raison de six heures de travail, soit huit minutes par personne. Cet opérateur travaillant cinq jours par semaine, peut recenser 250 personnes par semaine, et donc 1000 personnes par mois. Avec 5 000 opérateurs travaillant à ce rythme, on peut recenser cinq millions de personnes par mois, donc 15 millions en trois mois. Prenant en compte le temps qu’il faudra pour l’acquisition des équipements, la formation des opérateurs et le traitement des données, mais aussi du fait que certaines de ces actions peuvent aller concomitamment, cette opération peut se faire en moins d’une année.
Cette banque de données, constamment actualisée, éventuellement reliée, après la transition, au système judiciaire et l’administration pénitentiaire et agrémentée par l’adressage des rues et la numérotation des maisons, aura des avantages qui vont au-delà du fichier électoral.
L’autre sujet est la participation inclusive de l’ensemble des acteurs politiques désirant concourir dans les prochaines élections sans pour autant poser de gros défis logistiques et inutiles à l’organe de gestion des élections. Il se dit que la Guinée compterait aujourd’hui quelques 181 partis politiques enregistrés auprès du ministère de tutelle. Plusieurs autres formations seraient en attente de leur agrément dont l’ancien régime avait fermé la porte (même devant les ONG) ces deniers temps. Pour certains, ce chiffre représente une « pléthore » des partis politiques. Le manque de la démocratie interne au sein des premiers partis politiques explique, en grande partie, cette situation. Mais ce constat semble avoir amené quelques personnes à préconiser une « limitation » du nombre de partis. D’aucuns proposent l’établissement d’un système « bipartisan » dans le pays.
Nous voulons soulever deux points avant de formuler une proposition concrète. Le premier point est que le bipartisme, s’il est perçu comme l’existence de deux partis seulement dans un pays, est une situation qui n’existe nulle part dans le monde. En effet, le bipartisme signifie simplement la domination plus ou moins égale de deux partis politiques, parmi tant d’autres, sur la scène politique d’un pays durant plusieurs élections successives. Cela ne se décrète pas non plus. Aux États-Unis que l’on cite souvent comme l’exemple parfait du bipartisme, il n’y pas que les partis démocrate et républicain. Même lors des dernières élections présidentielles (novembre 2020), en plus de Joe Biden (D) et de Donald Trump (R), il y avait, dans la course pour la Maison-Blanche, deux autres candidats : Mme Jo Jorgensen avec pour colistier, Jeremy Cohen du parti libertarien, et Howie Hawkins du parti Verts, avec Angela Walker comme colistière.
De ce qui précède, notre second point est qu’il faut agréer toutes les formations politiques qui satisfont aux conditions édictées dans la Charte des partis politiques. Se constituer en parti politique ou tout autre regroupement est un droit constitutionnel. Que faire alors si l’on se retrouve éventuellement avec 200, 500 ou 1000 partis politiques ? C’est là où intervient notre proposition.
Il est maintenant convenu que les élections devant consacrer le rétablissement de l’ordre constitutionnel vont être organisées en séquence, à commencer par les élections locales/communales pour finir avec celles présidentielles. Avec un tel agencement, nous préconisons un processus de décantation objective et graduelle qui va réduire le nombre des candidats – et éventuellement des partis politiques – à chaque élection. Voici l’astuce : pour les élections locales/communales, on y admet tout le monde ; c’est la ligne de départ du marathon. Mais on prévoit dans le code électoral révisé qu’il faut disposer de X nombre de conseillers communaux pour pouvoir présenter des candidats aux élections législatives. En 2018, les Guinéens ont voté pour quelques 7 003 conseillers communaux dans 342 communes urbaines et rurales. Avec un tel chiffre, l’on peut exiger l’obtention de 1% des conseillers communaux, soit environ 70 conseillers, pour tout parti politique qui souhaite présenter des candidats aux élections législatives. Celui qui ne peut pas avoir cela n’est pas représentatif pour espérer d’aller au parlement. L’Assemblée nationale comptant jusque-là 114 sièges, l’on peut exiger l’obtention de 2,5% de ces sièges, soit trois députés, pour présenter une candidature aux présidentielles. L’expérience montre que dans les législatures guinéennes depuis 1995, moins de dix partis réussissent à obtenir plus de trois députés à l’Assemblée nationale. Si les candidatures indépendantes sont autorisées dans la nouvelle constitution, l’on peut exiger de tels candidats de rassembler le parrainage d’X nombre d’électeurs inscrits à travers le pays, qui peut être de 1%. Une telle condition réduirait significativement mais objectivement le nombre de candidats à la présidentielle, car plusieurs partis seront obligés de se coaliser avant le scrutin, ou se contenter des élections locales ou législatives pour laisser la place à plus représentatifs et coriaces.
Avec une telle situation, il ne serait plus nécessaire d’imposer un montant élevé pour la caution, ce qui tend à monétariser le processus aux dépens des critères basés sur la vision et l’intégrité des candidats. Avec le temps, la décantation s’opérera naturellement et le pays n’aura que quelques grandes formations politiques sur la scène nationale.
Par Dr Issaka K. SOUARÉ
Consultant international, expert sur les questions de gouvernance, de paix et de sécurité et auteur de plusieurs ouvrages dont Les partis politiques de l’opposition en Afrique : la quête du pouvoir (les Presses de l’Université de Montréal, 2017).