Projet minier Simandou: éléments d’analyse du nouvel accord polémique qui a permis la reprise des activités.

Le projet minier Simandou va continuer son cours normal. Les parties prenantes de ce mégagissemnt de fer sont le consortium Winning Consortium Simandou (WCS), signataire en 2020 d’une convention d’exploitation des blocs 1 et 2, et le géant anglo-saxon Rio Tinto, associé au chinois Chinalco dans un consortium dénommé SIMFER, qui doivent en principe assurer la mise en œuvre du transguinéen, un rêve d’antan des Guinéens, qui permettra dans un avenir proche l’acheminement du minerai riche en Fer avec une teneur extraordinaire au port minéralier de Moribayah.

Le gouvernement guinéen, à travers son porte-parole, en a assuré la communication après l’obtention d’un accord entre les parties prenantes au projet. Le porte-parole du gouvernement a évoqué que cette décision gouvernementale relative à la reprise des travaux du projet Simandou, a été prise par le Président de la transition, le Colonel Mamadi Doumbouya qui estime ainsi que les intérêts de la Guinée soient désormais pris en compte.

En effet, il faut rappeler que la cessation des activités ordonnée par le Colonel Président en Conseil des Ministres dans sa session du 10 mars, avait pour but, selon le Communiqué de ce Conseil, d’amener les Parties à prendre en compte les intérêts de la Guinée dans le cadre du développement de ce projet. Après cette cessation des activités, les deux Parties privées se sont réunies sous la pression forte du Gouvernement, à l’effet de trouver un accord.

Les points principaux évoqués et affichés ouvertement comme ayant fait l’objet d’accord concernaient la nécessité d’une co-entreprise qui se chargera des infrastructures et la prise par l’Etat d’une participation de 15% dans cette co-entreprise.  

Par rapport aux enjeux et à la complexité de ce projet, la célérité avec laquelle, un accord a été trouvé, interroge sur la pertinence et le contenu de cet accord. En effet, les conventions qui avaient été négociées et signées avec l’ancienne équipe gouvernementale avaient été négociées en un an environ. Ici, en moins d’une semaine, un accord est trouvé.

Que contient-il ? Quelles modifications ont été apportées aux accords précédents ? Quelle voie à suivre par les entités publiques ?

À ce jour, on peut répondre que ces questions sont accessoires face au seul résultat de la reprise des activités, car il est important de rappeler que la cessation des activités d’un projet d’investissement qui vaut des milliards de dollars faisait peser des responsabilités sur le Gouvernement qui s’est vite rendu compte de son erreur dans la mesure où il aurait pu procéder autrement. La seule question relative aux emplois suffisait pour que tout le monde s’y mette pour faire reprendre le travail à des milliers de guinéens qui s’étaient retrouvés brusquement chômeurs par la décision du Gouvernement. On comprend dès lors pourquoi les négociations furent rapides et les communications sur le contenu montraient un côté hasardeux et peu ordonné de la démarche.

La seule évidence est qu’un accord est trouvé permettant dans le cadre d’engagements formels, aux deux entreprises, de développer ensemble le projet.

Le reste des points reste à clarifier et à analyser une fois qu’on sera en mesure de voir et de prendre connaissance du contenu de ce nouvel accord.

Sur la base des annonces faites par le Gouvernement et à la lecture des conventions existantes, il est possible de faire une certaine autopsie de cette situation.

1 – L’existence d’une co-entreprise

Selon le Ministre des Mines dont les propos ont été repris plus tard par le Ministre porte-parole du gouvernement, les deux sociétés ont accepté de se mettre ensemble pour développer le projet Simandou, dans tout ce qu’il est possible de faire ensemble. Elles s’engagent notamment de mutualiser leurs efforts pour réaliser et gérer ensemble les infrastructures ferroviaires et portuaires. Ceci est une nouveauté car même si la mutualisation est prévue dans les conventions de chacune des deux entreprises SIMFER et WCS, un tel engagement formel de développer ensemble n’avait pas encore été formulé.

Il ressort toutefois du bon sens que SIMFER n’ayant pas véritablement commencé à réaliser le Chemin de fer et le Port, la demande de mutualisation formulée sous la forme de création d’une entité commune est plutôt adressée maintenant à WCS et non à SIMFER.

Selon nos informations, comme préalable à la mutualisation, les responsables de WCS avaient toujours exigé, auparavant que SIMFER dise ce qu’elle est prête à apporter dans le cadre de cette mutualisation qui avait déjà été sollicitée par SIMFER auprès de l’ancienne équipe gouvernementale. On apprend que la réponse de SIMFER avait toujours été de dire que la société WCS doit lui fournir un ensemble d’informations sur le projet d’infrastructures portuaires et ferroviaires que celle-ci est en train de développer, sur les normes et standards applicables à ce projet. Ce à quoi, WCS, tout en exprimant son accord sur la mutualisation a posé comme préalable, que c’est seulement sur la base d’engagements concrets et sérieux de SIMFER de réaliser une infrastructure précise que des informations en sa possession peuvent être partagées. C’est à ce jeu de ping-pong que l’accord qui vient d’être signé a mis fin. La junte a forcé les deux Parties à s’engager à développer ensemble le projet.

La mise en place de cette co-entreprise aura comme effet, de modifier les dispositions spécifiques relatives à la structure propriétaire et à celle de gestion des infrastructures, contenues dans les différentes conventions dont chacune des entités est titulaire. En effet, dans chacune des conventions, ferroviaires et portuaires, des deux entités, il y a des dispositions qui traitent des modalités relatives à la propriété et à la gestion des infrastructures. Ces dispositions vont être remplacées par celles qui seront négociées et validées dans le cadre de la mise en place de la co-entreprise qui sera seule propriétaire des infrastructures et qui va également assurer leur gestion.

La garantie d’une bonne gestion des infrastructures est la clé de l’engagement de l’investisseur. Il ne peut être envisagé donc qu’une tierce partie, en ce compris l’Etat, en devienne propriétaire ou gestionnaire. Aucun accord ne peut prévoir une telle disposition sauf à mettre le projet à risques.

Ainsi, la mise en place de la co-entreprise ne sera utile que si SIMFER réalise également sa part d’infrastructures et qu’on commence à la voir évoluer sur le terrain. A défaut, sur la base des informations disponibles sur les projets en cours de développement par Rio Tinto dans d’autres pays comme l’Australie, et tenant compte du fait que WCS existe déjà sur le terrain et l’économie d’échelle que cela peut générer pour SIMFER, il n’est pas exclu que SIMFER fasse appel à WCS pour réaliser ses propres infrastructures, suivant des modalités à convenir entre les deux parties, sous le contrôle de l’Etat.

2 – La participation de l’Etat dans les infrastructures

L’un des points fondamentaux à examiner dans le cadre de ce nouvel accord est la participation de l’Etat. En effet, les autorités guinéennes qui se sont exprimées sur cet accord, ont évoqué la prise de participation de l’Etat dans les infrastructures. Il s’agit d’un choix qui aura certainement l’avantage de renforcer le lien entre l’Etat et les sociétés opératrices ou celle des deux qui sera capable d’accepter cette exigence de l’Etat.

Il convient de rappeler que selon la convention de base actuelle de WCS en son article 13.15, il est prévu que les infrastructures feront retour dans le portefeuille de l’Etat après la période nécessaire à l’amortissement plus cinq années. C’est une disposition qui reprend mot à mot les dispositions du Code minier. En fait, contrairement aux annonces qui ont été faites, les infrastructures ne reviennent pas à l’Etat dans trente-cinq ans d’après la convention. C’est la durée de la convention qui est de 35 ans.

Sur cette base, si l’Etat prend des actions surtout à titre gratuit, le temps d’amortissement sera plus long et conséquemment, le temps nécessaire au retour dans le portefeuille de l’Etat sera plus long.

En effet, une analyse empirique montre finalement que si l’Etat exige d’être actionnaire dans la société qui doit être mise en place pour être propriétaire et gestionnaire des infrastructures, deux possibilités se présentent :

  • La participation est non contributive et non diluable : cela suppose que l’investissement va être augmenté de 15% de sa valeur actuelle et que le financement de ce surplus est mis à la charge des investisseurs privés. L’hypothèse est très rare de voir que les investisseurs s’engagent à accorder une participation non contributive dans un projet aussi capitalistique. Toutefois, si cela se fait, tout le modèle financier du projet va être remis en cause. Sur la base de ce modèle financier, il serait bien de voir également, d’un point de vue empirique, ce que cette option va apporter comme plus-value à l’Etat, comparativement au BOT prévu dans les conventions.

L’exemple le plus illustratif est le cas d’un propriétaire d’un terrain sur lequel, un investisseur construit un immeuble bâti sur la base d’un accord selon lequel, l’immeuble construit devient propriété du propriétaire de terrain après le temps d’amortissement plus cinq ans. Si le propriétaire du terrain décide que sur chaque somme payée par les locataires à l’investisseur qui a construit, une part représentant 15% devraient lui revenir, il va s’en dire que le temps d’amortissement s’en trouvera impacté et sera conséquemment prolongé. Cela veut dire que l’Etat gagnera plus rapidement ou plus tôt des revenus mais le retour de l’infrastructure dans son portefeuille retardera. L’enjeu pour ce propriétaire de terrain comme pour l’Etat est de s’assurer que l’investisseur ne fasse pas de surfacturation pour allonger la durée de retour dans son portefeuille et que les infrastructures lui seront remises en bon état.

  • La participation est contributive : c’est l’hypothèse la plus courante En tous les cas, au cas où l’Etat s’engage dans le cadre d’une participation contributive, il y a là aussi deux hypothèses possibles :
    •  L’Etat apporte le financement lui-même : Au regard de la situation économique actuelle du pays, cette hypothèse est peu probable dans la mesure où les possibilités de l’Etat surtout en cette période d’incertitudes de tous ordres sont telles qu’il n’est pas évident qu’au détriment des besoins primaires notamment liés à l’éducation, à la santé, à l’autosuffisance alimentaire, l’Etat choisisse de mettre 15% de 8 milliards pour la première phase de ce projet, pouvant aller à 15 milliards pour les deux phases ;
    •  Un ou les deux partenaires s’engagent à apporter le financement desdites infrastructures, en lieu et place de l’Etat et pour son compte. L’hypothèse généralement admise en ce genre de situation est que la co-entreprise se mette en place à travers une SPV qui sera créée avec un capital initial et les trois actionnaires seront invités à apporter des actifs et des fonds au prorata des pourcentages qui leur sont attribués, à savoir 15% pour l’Etat et 42,5% pour chacune des parties privées (SIMFER et WCS). La prise en charge des montants à payer pour le compte de l’Etat et en ses lieu et place par les investisseurs privés impliqués dans le projet va rebattre les cartes car les fonds qui seront investis par ces investisseurs viendront s’ajouter aux montants à amortir et allonger le temps de retour à l’Etat des infrastructures. En fait, c’est une prise de participation qui, d’un point de vue économique, va avoir des répercussions sur la gestion et dont l’impact économique est à mettre dans un modèle pour en savoir la plus-value pour l’Etat. Le temps d’amortissement va, en tous les cas, s’allonger.

3 – Le Contenu local et la formation

Dans les annonces gouvernementales, le contenu local apparaît comme l’un des principaux points de ce nouvel accord.

Pour précision, le contenu local peut se résumer à trois choses par lesquelles, l’investissement dans un projet peut laisser un véritable impact dans le développement du pays :

1 – La participation des entreprises guinéennes aux travaux, services et fournitures ;

2 – La participation des travailleurs guinéens à la réalisation du projet à travers leur présence aux différents postes de travail ;

3 – La prise en compte des intérêts communautaires par la responsabilité sociétale des entreprises.

En réalité, il n’est pas interdit et même mauvais que l’on insiste sur cette question cruciale dans chaque nouvel accord car tout l’impact des projets miniers sur le développement économique se constate à ce niveau. Mais il convient de rappeler que le contenu local est pris en compte dans toutes les conventions. Par exemple dans la convention de base de WCS en son Chapitre 5 qui traite du travail et de l’emploi donne un ensemble de détails sur les exigences faites aux investisseurs en matière de contenu local. Les articles 7 & 8 qui composent ce chapitre sont relatifs respectivement à l’emploi et au contenu local. Il reste à savoir ce qui a été ajouté dans ce nouvel accord tant les dispositions des articles 7 et 8 susvisés sont détaillés.

En ce qui concerne la formation des guinéens, l’article 7.3 à 7.5 donne des obligations précises en la matière. Ces obligations concernent l’obligation d’un programme de formation et de perfectionnement en vue d’assurer en faveur des guinéens la formation des guinéens, le transfert du savoir-faire et l’emploi, la participation des employés à des formations en Guinée et à l’étranger, l’élaboration de plan de carrière et de succession des expatriés par des guinéens pour faciliter l’accès à des postes de direction, l’obligation d’accueil des étudiants pour les stages etc.

S’agissant, enfin, de la participation des entreprises guinéennes aux travaux de développement du projet, même si les dispositions des différentes conventions font référence à cette obligation de façon détaillée, il serait bien que les autorités prennent avec vigueur cette question car les dispositions de l’article 8 de la convention WCS sont très favorables pour le développement du contenu local. Il doit y avoir un grand effort au niveau du suivi.

4 – Le calendrier

L’élément principal dans un accord doit être la clarté et l’efficacité du chronogramme de réalisation des activités, objet de l’accord. Il n’est jamais trop d’insister sur la question du calendrier auprès d’un opérateur. C’est la question principale car il faut que le projet soit réalisé pour que les autres aspects puissent exister. C’est pour cela il est apparu incompréhensible que la décision d’arrêt des travaux soit prise dans la mesure où il était possible d’obtenir ce résultat contenu dans l’accord sans devoir procéder à la cessation des travaux. L’article 16 de la convention de base de WCS est précis et l’engagement pris par la société de finaliser les infrastructures à la fin de l’année 2024 est plus contraignant que ce qui est dans la convention car le non-respect de ces délais conventionnels peut amener à des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait du Titre minier. Malgré ces engagements de la société, les activités ont été arrêtées par les autorités, ce qui nécessite une évaluation de l’impact sur le calendrier global du projet. L’accord, dans ce cas, n’a pas apporté de nouveau.

5 – Le caractère multi-usages, multi-utilisateurs

Les annonces faites par les autorités sur le caractère multi-usages (utilisation du chemin de fer par le transport de biens et de passagers) et multi-utilisateurs (utilisation du chemin de fer par le transport des minerais d’autres opérateurs miniers) indiquent que les infrastructures sont soumises à cette ouverture. Or, l’article 14.2 de la convention ferroviaire confirme le régime multiutilisateurs et multiusage des infrastructures du projet.

A moins d’avoir des détails de ce nouvel accord pour apprécier les nouveaux engagements pris par les parties, il ne semble pas y avoir également rien de nouveau par rapport aux dispositions existantes.

En conclusion, il faut noter que l’enjeu pour l’Etat est de renforcer ses propres capacités en vue d’assurer plus efficacement son suivi en tant qu’Etat régalien et d’Etat actionnaire dans la mine et éventuellement dans les infrastructures.

Moussa Diabaté