Quand des hommes se prennent pour Dieu… (Tibou Kamara)

La Guinée, malgré ce que l’on pourrait en dire, par dépit et dans la fausse indignation des contempteurs zélés, vit les heures paisibles d’une histoire jusque là tourmentée et imprévisible. Ce pays de toutes les passions et des outrages se libère, comme personne ne l’espérait, de ses vieux démons et rompt avec des élites prétentieuses et despotiques. Cette mutation silencieuse et discriminante exclut, d’emblée, beaucoup de ceux qui rêvent d’un grand destin en transgressant toutes les valeurs admises et reconnues par tous et partout, en voulant chaque fois, et seuls, remettre en cause l’ordre établi et des légitimités acquises dans la loyauté au pays et la fidélité au peuple. Certes, aucune oeuvre humaine n’est parfaite, aucun homme ne peut prétendre à l’innocence absolue, mais, il y a des hommes qui, malgré les autres, marquent leur temps, fascinent leurs contemporains, et survivent ainsi à toutes les épreuves dont ils n’ont jamais eu peur dans la sérénité du succès assuré. Ces hommes avertis affrontent avec stoïcisme les injustices, méchancetés et rivalités inhérentes à la vie en communauté. Ils font face, avec un courage froid et une détermination farouche, aux nombreux obstacles qui jalonnent le parcours du combattant.

 

Chacun doit être capable de pardonner les offenses et d’être indifférent aux fausses interpellations pour se sentir fort et accompli, c’est-à-dire oser se distinguer des autres à travers une personnalité authentique et une identité affirmée.

 

L’homme d’État n’a pas peur des critiques, se soucie peu de déplaire, reste engagé avec des convictions héroïques et toujours décidé à vaincre les préjugés et les réticences ; tandis que l’homme politique, ou qui croit l’être, comme souvent par pure vanité, est plutôt préoccupé par son image, sa réputation, et entend bien profiter du moment présent et de ses fébrilités. Il ne croit en rien, et se démène à faire plaisir à tout le monde en épousant la cause de chacun. Peut-être que l’opportunisme politique tente toujours quelques leaders d’opérette, mais ne peut plus prospérer à une époque de toutes les exigences et de l’éveil des consciences, même ordinaires. Et comme cela n’est pas compris des faux prophètes de tous les temps (hélas, encore nombreux parmi nous), pathétiques dans leur obstination absurde, la vie politique, celle publique en général, ressemble souvent à un asile de déments. D’où la désaffection de plus en plus de citoyens pour la politique, le désamour grandissant à l’encontre de politiques qui ne se rendent pas compte qu’ils sont devenus leurs propres ennemis, des menaces contre la société des bonnes mœurs et des vertus cardinales. La Guinée en a enfanté quelques-uns, continue à en voir encore même si elle s’est toujours refusée à eux, qui la fuient souvent parce que la société des marginaux, le campement des hors-la-loi jouant aux Robins des Bois n’existe que dans le monde imaginaire de leur forêt de Sherwood à eux.

 

Au lieu de jouer les donneurs de leçons ou les gardiens on ne sait de quelles vertus, ou se considérer comme les chantres de la bonne cause, ils seraient plus inspirés de se remettre en cause, de méditer leurs échecs et de s’interroger sur le châtiment d’un peuple qu’ils n’ont pu duper, de Dieu qu’ils ne peuvent tromper ni contrarier dans sa volonté implacable. Mais, la malédiction du pécheur et du mécréant est de toujours penser qu’il peut avoir une emprise sur les événements, ou peser sur le destin des autres dans l’illusion qui l’habite d’être maître du temps et de l’univers.

 

Beaucoup de nos compatriotes voudraient voir le monde comme ils veulent qu’il soit, les autres comme ils souhaiteraient les voir, et ne se lassent pas donc de leurs prophéties de malheur (heureusement sans lendemain) et persistent aussi dans leur mauvais jugement des élus du peuple, voire de Dieu lui-même. Ils défient la nature et la Providence.

 

Le destin des hommes sans foi ni loi est connu d’avance : ils périssent dans l’envie et sombrent dans la haine. Rien n’arrive par la faute des autres, chacun est responsable de son malheur et artisan de son bonheur.

 

Tibou Kamara