Depuis la prise du pouvoir par le Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD) et la prestation de serment de son Président, le Colonel Mamady Doumbouya le 1er Octobre, la nomination d’un Premier ministre de personnalité civile « reconnue pour ses convictions, ses compétences avérées et sa probité morale » se pose avec acuité au sein de l’opinion publique.
Ce Premier ministre de transition est selon l’article 50 de la charte « le chef du gouvernement. Il est nommé par décret du Président de la transition et peut être révoqué par lui ».
Il faut dire que le Premier ministre étant le chef du gouvernement, à ce titre, il fixe en principe, les orientations politiques du gouvernement. Mais la pratique des prérogatives constitutionnelles du Premier ministre en Guinée depuis 1958 à nos jours, montre en effet qu’il est un simple collaborateur (premier des collaborateurs) du Président de la République. De 1958 à aujourd’hui, la Guinée n’a connu que des régimes présidentiels voire présidentialistes au fil des différentes constitutions. Par régime présidentialiste, il faut entendre un régime dans lequel le Président de la République gouverne, et le premier Ministre étant le principal exécutant de la volonté du Chef de l’Etat.
La charte de la transition élaborée par le CNRD s’inscrit dans cette histoire institutionnelle. C’est à la lumière de cette pratique politique que nous allons examiner le rôle du Premier ministre et la mise en œuvre de ses prérogatives sous la transition militaire qui débute dans notre pays. De ce fait, l’analyse des pouvoirs du Premier ministre montre qu’il n’est responsable que devant le Colonel (I) et de la nécessité de l’accorder les coudées franches pour une transition réussie (II).
- Le Premier ministre de la transition politiquement irresponsable devant le CNT
L’article 50 de la charte de transition donne le ton : «le Premier est responsable devant le Président de la transition». Cette disposition ne change en rien par rapport à la pratique constitutionnelle et s’inscrit dans l’article 62 de la constitution du 22 mars 2020 qui ne place le Premier ministre dans sa responsabilité que vis-à-vis du Président de la République. Ainsi le Président de la transition décide et le Premier ministre exécute. Ici, le premier ministre joue le rôle d’exécutant, la conception de la politique étatique étant réservée au seul Président de la transition.
Malgré cette responsabilité devant le Chef de l’Etat, l’article 63 de la constitution avait accordé le pouvoir aux élus du peuple la possibilité de démettre le Chef du gouvernement dès sa prise de fonction s’il ne bénéficie pas de la confiance des députés : «Après sa nomination, le Premier Ministre fait une déclaration de politique générale devant l’Assemblée Nationale. Cette déclaration est suivie d’un débat avec vote».
La charte de la transition contrairement à cette disposition de la constitution de 2020, stipule en son article 52 que «le Premier ministre doit, dans un délai n’excédant pas trente (30) jours à compter de la date de nomination des membres du gouvernement, soumettre pour approbation au Président de la transition le plan d’action de la feuille de route du Gouvernement de transition». Ce qui veut dire en substance que les membres du Conseil National de Transition seront obligés de valider le PAG du Premier ministre avalisé par le Président de la Transition le Cl. Doumbouya et n’auront pas leur mot à dire sur le plan d’action qui aura été proposé.
C’est en cela que l’on peut trouver le contenu de la charte de transition en décalage avec les discours des hommes forts de Conakry qui affirment, je cite en finir avec la « gestion solitaire du pouvoir ».
Pour ma part, je trouve les prérogatives du Premier ministre insuffisantes au visa de attentes de la population sans cesse nombreuses. Le futur CNT qui sera l’émanation des forces vives de la nation mérite d’avoir tous les pouvoirs nécessaires quant au contrôle de l’action du Premier ministre et de son gouvernement.
- De la nécessité d’accorder les coudées franches au Premier ministre de transition
Le Président de la transition, le Colonel DOUMBOUYA a annoncé de grandes reformes à venir au cours de la transition. Au titre des mesures annoncées, il y a la refondation de l’Etat, la lutte contre la corruption, la réforme du système électoral, la refonte du fichier, l’organisation d’élections libres, crédibles, inclusives et transparentes ainsi que la Réconciliation nationale.
Pour réussir ces ambitions affichées pour un Président issu de l’armée et n’étant pas habitué aux routines de la politique et de la gestion publique, il aura besoin d’un Premier ministre non seulement aux compétences avérées comme indiqué dans la charte, mais également d’un Premier ministre avec les coudées franches, c’est-à-dire qui aura toute la latitude nécessaire pour dérouler le chronogramme de la transition. Il doit avoir carte blanche pour reformer. Avoir non seulement le soutien du Président de la transition mais aussi celui du CNT qui fera office de parlement. Ainsi, le Colonel Président deviendra l’arbitre sur un tel ou tel sujet.
Le Premier ministre doit être responsable devant le Président de la transition mais il doit être également comptable de l’action de l’Exécutif devant le CNT. A ce titre, il doit être interrogé avec ses ministres, par les conseillers de transition lors des séances de questions au Gouvernement sur la politique de la transition.
En définitive, pour une transition réussie, le Premier ministre doit avoir les coudées franches pour mettre en œuvre les grandes reformes annoncées par le Colonel, et il doit avoir la personnalité nécessaire pour conduire les actions du gouvernement. Et le Président de la transition peut se contenter d’arbitrer et de disposer intégralement des questions de défense et de souveraineté. C’est en cela qu’on parlera de la séparation horizontale des tâches entre le Président de transition et son Premier ministre.
Par Alexandre Naïny BERETE, juriste analyste politique