Jour après jour, sous le fouet des humiliations, sous la morsure des trahisons, les âmes finissent par se clouer à la croix non seulement sous la peur, mais sous une étrange dévotion. C’est le cas en Guinée où le peuple transforme sa révolte en résignation. À l’instar de l’otage qui, pris au piège de ses ravisseurs, finit par éprouver de la sympathie pour eux, ce peuple assoiffé de démocratie, de changement et de progrès, développe une étrange complicité avec ceux qui l’asservissent. Ce phénomène qui prend de l’ampleur, se joue non seulement dans les chambres sombres du pouvoir mais aussi dans les esprits des citoyens eux-mêmes. Il commence par une promesse : celle de la sécurité, de l’ordre, d’une vie meilleure à offrir. Ce peuple qui, terrifié par l’instabilité, accepte une forme de soumission déguisée en protection.
Les institutions politiques, les bureaucrates débordés par les billets de banque qu’ils ne peuvent justifier l’origine, eusent de la peur pour légitimer leur maintien ou mériter la confiance bénéficiée à travers des parades de parrainage des mouvements de soutien. Sous prétexte de garantir la sécurité nationale, de maintenir l’équilibre économique ou de défendre les valeurs fondamentales. Chaque réforme, chaque décision politique, bien que dictée par l’intérêt de l’élite dirigeante, est justifiée par la nécessité de maintenir l’ordre. Et peu à peu, dans ce climat de Tic-Tac, le peuple se trouve piégé. Il commence à croire que ceux qui gouvernent sont non seulement indispensables, mais qu’ils sont les seuls à lui garantir la stabilité.
Les abus de pouvoir sont perçus comme des actions nécessaires, les violences politiques comme des gestes salvateurs. L’injustice devient une norme que l’on tolère, parfois même que l’on défend. Plus ce peuple est opprimé, plus il croit avoir besoin de l’autorité. Plus il ressent la douleur de l’injustice, plus il se persuade que seule cette injustice peut le protéger du chaos. La victime dépend désormais de son bourreau. Celui-ci n’a plus besoin de chaînes : les cœurs eux-mêmes s’enlacent à ses pieds. Il sculpte l’esprit de sa victime, jusqu’à lui faire confondre la peur avec l’amour, la servitude avec la fidélité. Il sourit, triomphant d’avoir conquis non seulement des corps, mais des âmes.
La démocratie, lorsqu’elle est pervertie par ces mécanismes, cesse d’être un projet de liberté collective et devient une forme de captivité volontaire. Loin d’être une expression de souveraineté populaire, elle devient un spectacle où le peuple se donne l’illusion de choisir tout en restant enfermé dans un carcan de manipulation. Le débat public se réduit à des échanges superficiels, les idéaux démocratiques deviennent des instruments de contrôle, et l’oppression se camoufle sous les apparences de la légitimité et de la légalité.
C’est là toute la perversité du pouvoir guinéen: il ne brise pas seulement la liberté, il brise l’esprit, jusqu’à ce que l’âme elle-même cherche la rédemption dans l’esclavage. Et quand, enfin, la révolte surgit, elle n’est pas seulement une lutte contre l’injustice. Non. Elle est une lutte contre soi-même, contre cette part de nous qui, accablée et fatiguée, se souvient trop tard que la liberté est plus que la paix imposée.
𝐏𝐫𝐨𝐬𝐩𝐞̀𝐫𝐞 𝐃𝐄𝐋𝐀𝐌𝐎𝐔