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Le pouvoir éthiopien sur le point de vaciller, après un an de guerre dans le Tigré.

L’Éthiopie est entrée en territoire inconnu cette semaine. La situation y est très incertaine après la prise, par la rébellion tigréenne, d’un verrou stratégique lui ouvrant la route d’Addis-Abeba. Le Premier ministre Abiy Ahmed a décrété mardi un état d’urgence suspendant toutes les libertés et donnant tout pouvoir à l’armée, alors que son pouvoir semble vaciller. Et cela, alors que ce jeudi 4 novembre, cela fait un an jour pour jour que la guerre a commencé.

Qui aurait cru, il y a un an, que l’Éthiopie en serait là aujourd’hui ? Ce qui avait commencé comme une opération de « rétablissement de l’état de droit », comme l’assurait le gouvernement fédéral, a rapidement dégénéré en massacres d’une rare violence, presque à huis clos. Et désormais la capitale fédérale, Addis-Abeba, se trouve sous la menace d’une prise de contrôle par les rebelles tigréens et leurs alliés de l’Armée de libération oromo (OLA) qui combattent le Premier ministre Abiy Ahmed.

L’explication est peut-être à trouver du côté de la nature du pays lui-même. Depuis un an, en Éthiopie, les belligérants ont en effet livré une guerre « d’une brutalité extrême », si l’on en croit l’ONU et la Commission éthiopienne des droits de l’homme, non pas seulement pour le contrôle de l’immense territoire éthiopien, mais bien pour l’identité même de l’État. Ce sont deux projets qui se sont affrontés les armes à la main.

« Ce qui s’est passé dans le Tigré, ce n’est pas « encore une guerre civile en Afrique », comme on pourrait le dire trivialement », explique Kjetil Tronvoll, chercheur du Collège universitaire d’Oslo, qui a maintenu le contact avec les dirigeants tigréens avant et après la guerre. « Parce que la pomme de discorde, la question centrale pour laquelle on se bat, précise-t-il, a des racines profondes dans l’histoire éthiopienne. Une fois de plus, on se bat pour déterminer ce qu’est l’Éthiopie, pour une vision de l’Éthiopie et comment elle doit être organisée. C’est-à-dire : l’autorité centrale contre l’autonomie politique des périphéries. »

Les belligérants sont en effet porteurs d’une vision antagoniste de ce vieil ensemble impérial changeant qu’est l’Éthiopie. D’un côté, les Tigréens – dont la base est travaillée par l’idée d’indépendance – formulent une revendication autonomiste, nationale, depuis qu’ils ont été chassés du pouvoir fédéral en 2018. Et de l’autre, depuis Addis-Abeba, s’affirme le projet supranational, centralisateur, du gouvernement fédéral et de ses alliés régionaux, notamment les nationalistes amharas qui veulent affirmer leur prééminence dans les affaires du pays après des années de marginalisation, lorsque les Tigréens exerçaient le pouvoir d’une main de fer.

Cependant, ce projet est piloté par Abiy Ahmed, un homme qui, lui, a une vision plus personnelle de cette guerre, si l’on en croit de nombreux observateurs de l’Éthiopie. « Je crois que son projet est messianique », explique par exemple Éloi Ficquet, de l’École des hautes études en sciences sociale, faisant écho à de nombreux collègues. « Il croit en son destin et pense qu’il est guidé par la Providence divine, continue-t-il. Les épreuves, il les voit comme des épreuves envoyées par Dieu, qui une fois surmontées révéleront une Éthiopie grandiose. Je crois qu’on ne peut plus vraiment parler de projet politique, mais d’une exaltation mégalomane. »

Dans l’université comme dans les chancelleries, il semble que beaucoup ont compris un peu tard, et un peu médusés, quel était le vrai projet du prix Nobel de la paix 2019, lorsqu’il s’est réconcilié avec le frère ennemi érythréen : en finir avec l’arrogante impunité de leur ennemi commun, les anciens maîtres du pays, le leadership du TPLF, le parti tigréen qui s’était alors retranché dans sa province et était accusé de fomenter la division et de chercher à déstabiliser le pays pour survivre.

Résultat : une année d’une violence inouïe pour les populations civiles tigréennes et amharas, ainsi que pour les réfugiés érythréens, prisonniers des règlements de comptes ethniques et d’une famine organisée. Et en juin, après que des rebelles plus nombreux – comptant les nouvelles recrues fuyant les massacres commis dans les villes reprises par le gouvernement – sont descendus des montagnes pour reprendre leur capitale Mekele, l’armée fédérale éthiopienne s’est effondrée.

« Avant même le déclenchement du conflit, explique Éloi Ficquet, le gouvernement éthiopien a mené une politique de division de l’armée, en soutenant le renfort de forces spéciales régionales et ne s’opposant pas à la formation de milices. Or dans le conflit actuel, ce sont ces dernières qui sont à l’œuvre. Mais comme elles sont composées d’extrémistes fanatisés, l’armée, ayant une position d’équilibre à l’échelle nationale, a été affaiblie de l’intérieur dans sa capacité de commandement et de coordination. »

Les combats se sont alors portés vers les États voisins de l’Afar et de l’Amhara. C’est ainsi que, ces derniers jours, la prise du verrou stratégique de Dessie et Kombolcha, puis la jonction des Tigréens avec la rébellion oromo de l’OLA, ont finalement ouvert la route de la capitale.

Quel bilan tirer de ce désastre, après douze mois d’enfer ? D’abord que la guerre ne s’arrêterait pas avec la prise d’Addis-Abeba, souligne Kjetil Tronvoll. Exprimant le point de vue des dirigeants du TPLF, il rappelle que ces derniers « ont dit et répété que, cette fois, le dictateur érythréen Issayas Afeworki serait tenu pour responsable des atrocités commises dans le Tigré sous ses ordres ». « Si l’on traduit cela en termes plus simples, résume-t-il, cela veut dire que la guerre continuera jusqu’à ce qu’Issayas Afeworki soit renversé à Asmara. » Éloi Ficquet nuance, toutefois : « C’est la grande inconnue », concède-t-il seulement.

Quoiqu’il en soit, les deux universitaires estiment que la diplomatie est hors-jeu à ce stade. Un an après son déclenchement, la guerre civile en Éthiopie semble arrivée à un point de bifurcation, un nœud gordien que seules les armes peuvent trancher.

RFI

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