Depuis le coup d’état militaire du 5 septembre dernier, la junte au pouvoir en Guinée a fait quelques progrès, cependant, nombre de critiques peuvent être formulées contre le colonel Mamady Doumbouya et ses amis.
En effet, l’absence d’une direction claire sur la durée de la transition et la nomination de certains membres du gouvernement soulèvent quelques interrogations ainsi que des défis renouvelés. A vrai dire, en ce qui me concerne, j’ai un sentiment de plaisir mélangé de doutes car autant je considère que l’occasion est unique pour renforcer et consolider notre jeune démocratie ; autant je reste inquiet quant au risque d’utilisation orientée de la transition au profit des intérêts de certaines personnes susceptibles de la faire échouer.
En première ligne, je suis inquiet car un coup d’Etat quand bien même qu’il soit nécessaire ou à « objectif démocratique » suscite de la suspicion et des doutes à cause de sa mauvaise réputation en termes de stabilité institutionnelle et politique. Certes, un coup d’Etat est toujours la sanction d’un échec. Mais du fait même que le coup d’Etat soit la sanction d’un échec ou d’un manquement, c’est déjà un retard qui est pris par rapport aux autres pays. Cela ne veut pas dire qu’il faut passer sous silence les dérives autoritaires lorsqu’elles font entorse à la démocratie.
L’irruption des militaires sur la scène politique, « renversant un gouvernement » en place semble nécessaire à condition de redonner le pouvoir à des nouvelles autorités régulièrement élues par le peuple. De ce point de vue, on peut dire que le coup d’Etat du colonel Mamady Doumbouya est intervenu dans ‘’un environnement de blocage institutionnel paralysant la vie politique de notre pays’’.
Mais, personnellement, je m’attendais à ce que le colonel Mamady Doumbouya soit plus téméraire, novateur et surtout visionnaire et non un militaire calculateur comme ces prédécesseurs. N’oublions pas que la division ethnique sous la présidence d’Alpha Condé a laissé beaucoup de frustrations ainsi qu’une forte empreinte dans les esprits des Guinéens. Reconduire les mêmes habitudes est susceptible de recueillir une froide approbation de la part des populations. En parcourant les premières nominations, tout porte à croire que rien n’est nouveau sous le « cercle des tropiques ». On prend un diplomate pour le mettre au ministère de la santé et vice-versa. A mon humble avis, le Premier ministre n’est pas l’inspirateur des différentes nominations.
Tout se passe comme si la nomination de certaines personnes au niveau de certains portefeuilles ministériels était considérée comme anormal dans notre pays. Il suffit de parcourir l’histoire politique de notre pays, pour se rendre compte que depuis Sékou Touré, en passant par Lansana Conté, Alpha Condé et Sékouba Konaté, on utilise pratiquement les mêmes recettes et les mêmes méthodes de calcul politique. Or, si nous voulons réellement refaire la Guinée et écrire autrement l’histoire de notre pays, nous devons absolument prendre du recul dans le choix des hauts fonctionnaires de l’Etat. De deux choses l’une : soit le colonel Mamady Doumbouya a un candidat à qui il compte prendre fait et cause le moment venu, soit il a un agenda politique caché. Reste à savoir s’il sera réellement à la hauteur des immenses espoirs que son arrivée à la tête de l’Etat le 5 septembre dernier.
En dernière analyse, je voudrais attirer l’attention de la classe politique guinéenne : ne passez pas sous silence les écarts du pouvoir si vous voulez réellement obtenir le pouvoir. Ne vous contentez pas de peu lorsque vous pouvez gagner plus. Sincèrement, je pense que le colonel Mamady Doumbouya n’est pas si différent des autres qui lui ont précédé. Il n’est pas moins obsédé par le pouvoir que le capitaine Dadis Camara ou général Sékouba Konaté. Rien n’est encore acquis : « la reprise des rênes du pouvoir » Doumbouya et ses amis est significative qu’ils ne vont pas vous offrir le pouvoir sur un plateau d’or ou d’argent. C’est à la classe politique de prendre les devants.
En avant la Guinée !
Que Dieu bénisse la Guinée et les Guinéens.
Abdoulaye SOW
Docteur en droit public
Université Jean Moulin Lyon 3
Enseignant chercheur, droit public