Accueil Politique Quelle transition politique pour la Guinée ? (Par Bah Oury)

Quelle transition politique pour la Guinée ? (Par Bah Oury)

La Guinée, le premier des Etats francophones a accédé à l’indépendance suite à la victoire du non au référendum du 28 septembre 1958, tarde toujours à enclencher une dynamique vertueuse pour la construction de son économie, d’institutions démocratiques solides et pour sa stabilité. L’autoritarisme et le déni des principes fondamentaux de l’Etat de droit ont été les traits marquants des gouvernances politiques qui se sont succédées à la tête du pays.

Est-ce une fatalité atavique qui plombe tout essor de redressement national ?

Dans un premier temps, il est facile de répondre par l’affirmative pour conforter les idées reçues. En réalité les analyses structurelles de l’Etat et de la société en Guinée sont parcellaires et surfent sur l’appartenance ethnique du chef de l’exécutif du moment. Or, il s’avère indispensable de savoir ce qu’il faut changer pour ne pas restaurer des passés révolus « mythifiés » pour flatter des orgueils claniques clivants. Ainsi que faut-il faire?

La mise en force de la pleine citoyenneté pour tous les guinéens: Il est incontestable que la société guinéenne est fracturée et divisée. Cette situation est voulue et entretenue par les tenants du pouvoir pour « diviser pour mieux régner » en exacerbant les contradictions ethniques et régionales.

La transition politique engagée depuis le 05 septembre 2021 doit à cet égard rompre avec les pratiques ethno-stratégiques. Il est intéressant d’avoir un discours rassembleur et fédérateur, de poser des actes mémoriels inédits et de faire une profession de foi « de veiller au respect des intérêts nationaux ».

La Guinée attend des mesures pragmatiques et efficaces pour conforter la pleine citoyenneté de chacun et de tous.

A cet égard le recensement général de la population guinéenne aussi bien celle de l’intérieur que de celle de l’extérieur du pays en est le premier jalon. A la suite de l’édification du fichier général de la population, une extraction de la population âgée d’au moins de 18 ans permettra d’avoir le fichier électoral national assorti de la délivrance d’une carte d’identité nationale digitalisée et d’une carte électorale (recto-verso).

La citoyenneté est acquise d’abord par la possession de la carte d’identité nationale sécurisée. C’est aussi l’élément essentiel de la refondation de l’Etat. Les discours antérieurs du Président de la Transition militaient dans ce sens, toutefois depuis quelque temps une inflexion notable est perceptible au profit seulement d’un recensement électoral. Un Etat qui ignore le nombre et les spécificités de sa population aura du mal à s’engager dans le développement et la consolidation de la cohésion nationale.

La problématique du fichier électoral a été durant les 11 années de pouvoir du Président Alpha Condé la raison principale des conflits politiques qui ont ensanglanté et endeuillé le pays. La corruption du fichier électoral sur la base de l’appartenance ethnique et régionale des guinéens a fortement divisé la Guinée et a créé la méfiance au sein des élites. Donc, dans le contexte actuel, la refonte complète du système du recensement électoral est le pilier cardinal du chantier de la transition. En effet l’impérieuse nécessité de rassembler, de restaurer la confiance dans la durée, de ressouder le tissu social , de conforter la cohésion nationale et enfin de préserver la stabilité et la paix nécessite la pleine jouissance de la citoyenneté pour chacun et pour tous.

La clarification des chantiers de la transition : La Guinée est à sa troisième transition politique. La répétition de l’intervention des Forces de Défense et de Sécurité dans le champ politique s’explique par les échecs des gouvernances au pouvoir et aussi par les impasses créées par les transitions elles-mêmes. Ce qui a le plus dominé est la volonté de conserver ou de confisquer le pouvoir politique afin de satisfaire des intérêts particuliers et claniques au détriment de l’intérêt national.

Aujourd’hui, le CNRD doit s’inscrire dans une trajectoire permettant d’assurer, la stabilité du pays, le renforcement de la cohésion nationale et la mise en place des mécanismes institutionnels, concertés permettant le succès de la transition en cours. La durée de celle-ci est devenue la préoccupation essentielle des guinéens d’une part et de la communauté internationale d’autre part. Deux options agitent le débat. Les partisans d’une transition de courte durée (entre 6 et 15 mois) privilégient un retour rapide à l’ordre constitutionnel considérant ainsi la transition comme un simple passage à témoin d’un régime à un autre. Dans ce cas-ci, une forme d’amnésie pousse à oublier les leçons de la transition de 2009-2010 qui a créé des impasses et a aggravé les fractures de la société guinéenne.

Après l’éloignement du Capitaine Dadis Camara, le Général Sékouba Konaté engagea la deuxième étape de la transition de manière calamiteuse en 10 mois. Le résultat de cette transition n’a pas été bénéfique pour la Guinée puisque l’essentiel de la mission de la transition a été bâclé.

La transition actuelle doit impérativement tirer les leçons des raisons des échecs des transitions antérieures pour s’orienter avec détermination vers une véritable sortie de crise durable et efficace. A cet effet nous considérons qu’une période de 24 à 30 mois pourrait suffire à condition de clarifier d’ores et déjà la démarche.

Une transition qui durera au-delà des 3 années générera elle-même les facteurs de son enlisement et de son implosion. La transition politique au Soudan est à cet égard une leçon à méditer. Le CNRD doit prendre en compte ces paramètres pour accélérer le processus de la mise en œuvre des moyens politiques pour réussir à instruire une transition apaisée, réussie et efficace pour la Guinée :à savoir l’installation du CNT et la responsabilisation dans la conduite des affaires de l’Etat du Gouvernement.

La réussite de la transition est impérative : Le véritable enjeu pour la Guinée est la sauvegarde de sa stabilité et du maintien de la paix civile. En effet le risque sécuritaire est élevé, car les facteurs d’implosion de la société sont nombreux. L’exacerbation des tensions communautaires d’une part, l’aggravation de la pauvreté et de la mauvaise gouvernance d’autre part seront ipso facto les catalyseurs du développement des forces déstabilisatrices asymétriques comme au Sahel voisin.

Alors il faudra craindre la systématisation d’Etats faillis dans l’Ouest-africain. Ceci est une menace pour la sécurité régionale et internationale. Les acteurs politiques et les dirigeants de la transition guinéenne doivent se rendre compte de la gravité des menaces qui guettent notre pays si nous ne privilégions pas l’intérêt national, le patriotisme et le sens de la responsabilité.

La transition guinéenne est en devenir. Rien n’est encore joué. Le CNRD est face à ses responsabilités vis-à-vis des guinéens et de ses engagements initiaux. Le culte de la personnalité sous-jacent dans la pratique politique est un danger car favorisant la reproduction systématique des gouvernances antérieures qui sont caractérisées par l’autoritarisme, la mauvaise gouvernance et les pratiques ethno-stratégiques. A cet égard, il faut prendre garde à ce phénomène qui a anéanti beaucoup d’espoirs et brisé beaucoup de vies. Il ne faut pas également perdre de vues que les guinéens sont fatigués des atermoiements et aspirent aux changements. Les impatiences sont justifiées.

Bah Oury

Président UDRG

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